Dans la bulle d’indiction du Jubilé qui proclamait en 2015 l’année de la Miséricorde, le pape François rappelait les œuvres que l’Église propose à chacun afin de venir en aide à son prochain dans ses besoins corporels et spirituels. Les sept œuvres de miséricorde « corporelles » sont issues de la parabole du Jugement dernier (Mt 25,31). Les sept autres, les œuvres de miséricorde dites « spirituelles », ont été transmises par une tradition qui trouve son origine dans les écrits des Pères de l’Église.
« J’ai un grand désir que le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. (…) Redécouvrons les œuvres de miséricorde corporelles : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts. Et n’oublions pas les œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts. » (Pape François, Misericordiae Vultus, 2015).
« Puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience » (Col 3, 12), nous dit saint Paul. La patience est un vêtement à enfiler. Une belle image qui peut « s’ancrer dans nos esprits, devant une personne particulièrement pénible », comme le propose le père Ludovic Frère dans son Eloge de la patience (Artège). « Pensez à ce moment-là que vous revêtez le manteau de la patience et priez le Seigneur de recouvrir de sa douceur tous les autres sentiments qui vous gagnent : énervement, indifférence, dégoût peut-être ».
C’est ce vêtement de patience que sainte Thérèse revêtait pour supporter le tic d’une des sœurs du Carmel pendant l’oraison du soir. Voici l'épisode qu'elle raconte dans Histoire d'une âme :
"Aussitôt que cette sœur était arrivée, elle se mettait à faire un étrange bruit qui ressemblait à celui que l'on ferait en frottant deux coquillages l'un contre l'autre. Il n'y avait que moi qui m'en apercevais, car j'ai l'oreille extrêmement fine (un peu trop parfois). Vous dire, ma Mère, combien ce petit bruit me fatiguait, c'est chose impossible : j'avais grande envie de tourner la tête et de regarder la coupable qui, bien sûr, ne s'apercevait pas de son tic, c'était l'unique moyen de l'éclairer ; mais au fond du cœur je sentais qu'il valait mieux souffrir cela pour l'amour du bon Dieu et pour ne pas faire de peine à la sœur.
Je restais donc tranquille, j'essayais de m'unir au bon Dieu, d'oublier le petit bruit... tout était inutile, je sentais la sueur qui m'inondait et j'étais obligée de faire simplement une oraison de souffrance, mais tout en souffrant, je cherchais le moyen de le faire non pas avec agacement, mais avec joie et paix, au moins dans l'intime de l'âme. Alors je tâchais d'aimer le petit bruit si désagréable ; au lieu d'essayer de ne pas l'entendre (chose impossible) je mettais mon attention à le bien écouter, comme s'il eût été un ravissant concert et toute mon oraison (qui n'était pas celle de quiétude) se passait à offrir ce concert à Jésus."
« La petite Thérèse ne s’est pas braquée sur ce qui l’empêchait de prier paisiblement », analyse le père Ludovic Frère. « Elle a revêtu sa prière de douceur et de patience, la rendant profondément christique ». La patience devient alors acte de charité et lieu de conversion. Un acte de charité comme l’a probablement fait Jésus lors de son passage sur terre et comme il le fait encore aujourd’hui. « Nous sommes engagés dans un chemin de foi où nous découvrons toujours davantage Jésus comme Celui qui patiente vis-à-vis de nous-mêmes ! », souligne le père Emmanuel Coquet. « On peut se plaire à imaginer les personnes ennuyeuses qu’Il a rencontrées durant son ministère public et dont il ne s’est pas détourné… Nous aurions pu faire partie de celles-ci. »
Dans l’hymne à l’amour de saint Paul, la patience rafle tout de même la première place. « L’amour prend patience » (1Co 13, 4) commence l’apôtre lorsqu’il cherche à décrire ce qu’est la charité. La patience est bien plus qu’une vertu. Elle conduit sur un chemin de sanctification. « Vivre cette sixième œuvre de Miséricorde a dès lors une portée bien plus importante que ce que nous aurions pu imaginer au départ comme une disposition quasi héroïque à supporter les pesanteurs de nos proches », explique le père Emmanuel Coquet. « Nous sommes mis en état de conversion pour vivre selon l’Esprit de charité qui nous donne de vérifier que nous ne nous illusionnons pas sur notre capacité à aimer. La patience débusque en nous des lieux de conversion et nous donne de vivre cette aridité de la relation comme un chemin de sanctification. »