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Un curé rencontre des enfants quelques jours avant leur première communion. Il pose la question : "Qu’est-ce qu’un prêtre ?" Un doigt se lève : "Un prêtre, c’est un homme qui ne se marie pas." Ce n’était pas la réponse que le curé espérait, mais elle introduit pourtant notre réflexion sur l’ordination d’hommes mariés.
Une question régulièrement relancée
Depuis des dizaines d’années, la question est perpétuellement relancée. Elle est réactivée, ces derniers temps, pour deux raisons : les scandales de la pédophilie et le synode sur l’Amazonie. Si les prêtres étaient des hommes mariés, ils seraient moins tentés d’abuser des enfants, pense-t-on. À l’époque où beaucoup de prêtres étaient concubinaires, l’Église n’a pas cédé sur son exigence et les manquements des prêtres au célibat sont devenus une exception.
Quant à l’Amazonie, la population manque cruellement de prêtres : ordonner prêtres des hommes mariés, d’âge mûr, de foi orthodoxe et de bonnes mœurs ne serait-il pas une solution ? Le concile Vatican II a autorisé l’ordination comme diacres d’hommes mariés. La mise en application était remise aux "groupements territoriaux d’évêques", entendons les conférences épiscopales. Pourrait-il en être ainsi pour l’ordination sacerdotale d’hommes mariés ? Dans la réponse, il faut tenir compte de la mondialisation et de la pression médiatique qui ne manquerait pas de s’exercer en Occident.
Poser la question honnêtement
Les partisans de l’ordination d’hommes mariés ne manquent pas d’arguments. La pratique de l’Église romaine n’est pas un dogme. Dans les premiers siècles, les prêtres et même les évêques pouvaient être mariés. C’est l’usage des Églises orientales, y compris des communautés orientales catholiques. Quand des pasteurs anglicans sont entrés dans l’Église catholique et ont demandé à être prêtres, ils ont été ordonnés, sans que Rome leur demande de quitter leur famille.
Inversement, il n’est pas très honnête de réduire la question à une simple exigence disciplinaire, avec ce que le mot "discipline" comporte en lui-même d’odieux pour des oreilles modernes. Il n’est pas juste d’attribuer la pratique actuelle à un mépris de la sexualité : l’Église catholique s’est opposée aux manichéens et aux cathares sur ce point. D’autres attribuent le célibat des prêtres à la difficulté, dans l’hypothèse inverse, de gérer les successions : ce n’est pas très honorable de ramener l’enjeu à la seule dimension financière.
L’Épouse, c’est l’Église
Avant d’aller plus loin, il faut bannir une expression, pourtant courante : le "mariage des prêtres". La pratique constante, tant des Églises orientales que de Rome, est d’ordonner des hommes qui ont déjà choisi leur état de vie. Une fois ordonnés, qu’ils ne changent pas d’état de vie ! Cela vaut tout autant pour les diacres que pour les prêtres. Ce faisant, l’Église manifeste son respect pour le mariage qui redéfinit, redimensionne, toute la personnalité. Elle manifeste aussi que le ministère et la vie personnelle sont inséparables : le ministère n’est pas "un métier" comme un autre, qui n’aurait guère à avoir avec la vie "privée".
« Signe du monde à venir »
Le concile Vatican II a évoqué cette question dans le décret Ministère et vie des prêtres (n. 16). Après avoir salué la pratique orientale, le concile parle de "convenance". Le célibat signifie la consécration, sans partage, au Christ ; la pleine liberté pour le service de Dieu et des hommes ; l’exercice de la paternité dans le Christ. Pour le prêtre, représentant le Christ, l’Épouse, c’est l’Église. Enfin, il est signe du monde à venir, un monde où ne s’exercent plus les relations conjugales. Ces justifications sont rappelées dans le Catéchisme de l’Église catholique (n. 1579). N’ignorant pas la pratique orientale, le Catéchisme dit que les prêtres sont "normalement" choisis parmi des hommes célibataires.
Dans les débats actuels, une expression latine revient assez souvent : l’ordination de viri probati, des hommes "approuvés", sous-entendu par la communauté. Ces mots se trouvent dans un texte tout à fait vénérable, l’épître de saint Clément, troisième successeur de Pierre comme évêque de Rome, à la fin du Ier siècle. Ils sont repris dans la Constitution sur l’Église (n. 20) pour dire que les apôtres se sont donné des successeurs. Mais rien n’est dit sur leur état de vie. Il y a donc un certain abus à se servir de ce texte.
Un seul clergé
Ayant réuni toutes ces données, sans prétendre trancher dans un article une question qui intéresse le Magistère suprême de l’Église catholique, il est possible de formuler quelques remarques.
Les prêtres célibataires ne datent pas d’hier. Ils existaient dès l’époque des Pères de l’Église. Ils existent toujours en Orient. Les raisons de "convenance" énumérées par le concile Vatican II ne sont pas des justificatifs a posteriori pour une pratique surannée. Les Églises orientales élisent toujours leurs évêques parmi les prêtres célibataires. Dans toute décision d’aujourd’hui, il faut mesurer sa portée œcuménique. Il faut faire attention à ne pas instituer deux clergés, dont l’un n’accéderait jamais à la plénitude du sacerdoce : le problème n’est pas illusoire.
Le caractère sacramentel
Jadis, la famille constituait un lieu de ressourcement. Elle l’est toujours. Mais on connaît sa fragilité. Aujourd’hui, ceux qui s’engagent dans la fondation d’une famille doivent savoir qu’ils s’engagent dans une tâche qui demandera beaucoup de soin et de temps. Les conflits entre la famille et le métier sont fréquents. Combien de couples d’hommes politiques ont résisté ? Le vieil argument sur la disponibilité doit être relu dans l’état actuel de la société et des mentalités. L’institution de diacres mariés est déjà suffisamment ancienne pour qu’il soit légitime d’en tirer des enseignements.
La comparaison avec les pasteurs protestants ne vaut pas, car le ministère des pasteurs et le sacerdoce sacramentel des prêtres n’impliquent pas le même type de rapport au Christ. Les conceptions de l’Église et de la célébration eucharistique ne sont pas les mêmes : il n’est pas étonnant que cela se reflète dans les engagements respectifs des prêtres et des pasteurs. Au passage, signalons que l’hypothèse de prêtres à titre temporaire paraît incompatible avec le caractère sacramentel du sacerdoce, que ce soit le sacerdoce commun des fidèles ou le sacerdoce ministériel des prêtres.
Une question de foi
L’évêque d’un diocèse doit aux fidèles la possibilité de participer à l’Eucharistie. C’est pourquoi, dans le débat, intervient souvent l’argument des paroisses rurales. Soyons honnêtes : le dimanche où, une fois par mois, la messe est célébrée au village, les participants ne se pressent pas en foule : c’est peu dire. Certains imaginent que des prêtres pourraient être ordonnés, uniquement, pour la célébration de la messe, menant par ailleurs la vie civile. Cela nous ramène à des temps lointains où des prêtres pouvaient être ordonnés ad missam. Les Pères du concile Vatican II se retourneraient dans leur tombe en entendant cela.
La Révolution française avait poussé les prêtres à se marier : ce ne fut pas un grand succès pour la foi. Or le diagnostic du pape Benoît XVI reste valide : la question d’aujourd’hui est moins celle de l’Église et de son fonctionnement, que celle de la foi.
Un signe de l’Évangile
Certes, le "mariage des prêtres" et l’ordination d’hommes mariés ne doivent pas être confondus. Reste que l’effet serait à peu près le même : faire du prêtre un "homme comme un autre", supprimer ce point d’interrogation salutaire que constituent des engagements, corps et âme, pour Dieu et pour les autres. "Un prêtre, c’est un homme qui ne se marie pas" : pourquoi ? Le signe du célibat fait partie de l’Évangile. C’est une nouveauté par rapport à la Première alliance. Jésus commente : "Qui peut comprendre, qu’il comprenne !" (Mt 19, 12).