«Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. » Les épilogues de contes de fées ou de comédies romantiques sont peu loquaces sur la suite des histoires d’amour. Est-ce par manque d’imagination ? Les scénaristes hollywoodiens en ont pourtant à revendre. Un souci de discrétion ? Ces mêmes auteurs ne sont pas connus pour être des ayatollahs du respect de l’intimité. Un problème d’argent qui empêcherait de raconter la suite ? Sans doute pas. Sur les 42 millions de dollars alloués à Coup de foudre à Notting Hill, les producteurs auraient pu en laisser deux ou trois pour raconter ce qui se passe après la célèbre conférence de presse... Mais non. À croire qu’on investit tout jusqu’au grand « Oui » mais que la suite, faisant apparemment moins rêver — et donc moins vendre —, est mise sous le boisseau. Or, la suite est décisive.
Après l’effervescence de la préparation au mariage, l’euphorie du jour J, l’allégresse du voyage de noces, les choses sérieuses commencent. Le quotidien. À deux. Et parfois, la douche froide. Il arrive, en effet, que le beau tremplin des fiançailles donne lieu à des réceptions périlleuses. Le père Denis Sonet, grand spécialiste de la santé des couples, avait d’ailleurs l’habitude de dire que ceux qui avaient vécu de trop belles fiançailles éprouvaient souvent des difficultés au départ... Des propos rassurants pour ceux dont la préparation a été délicate ! Mais l’objectif n’est pas de jouer les prophètes de malheur ou de bonheur. D’autant plus que chaque couple est unique. Passé et situation — spirituelle, familiale, professionnelle, etc. - varient. Pas de prophétie donc, ni de recette magique. Simplement des pistes de réflexion, que chacun pourra décider ou non d’emprunter.
Pas de panique si ça secoue
« Tout n’est pas rose dans les premiers temps du mariage. » Cyril Lepeigneux, auteur de Premières années de mariage, croisière ou galère ? , est aussi catégorique que prévenant. « C’est une très belle période mais attention : il n’y a pas d’état de grâce. Tout ne va pas de soi et certains jeunes tombent de haut parce qu’ils n’ont pas été assez prévenus de cela. » Alors, disons-le d’emblée : le mariage est une révolution. Il est donc normal de rencontrer des perturbations. Être secoué, c’est par exemple ce que n’avait pas prévu Benoît. En tout cas, pas à ce point. À 30 ans, celui qui hésitait à rester célibataire rencontre sa future femme. C’est le coup de foudre. « J’ai tout de suite su que c’était elle », raconte aujourd’hui ce père de quatre enfants.
Les choses vont vite pour eux. Un an après leur rencontre, ils sont devant l’autel. « Nous avons fait une belle préparation, très intense au niveau spi », explique-t-il, avant de lâcher d’un léger sourire : « Mais, après le mariage, j’ai déchanté. » Dans leur petit appartement parisien, Benoît s’aperçoit, notamment, qu’il est beaucoup plus ordonné que sa femme. Rangement et ménage deviennent des sujets de haute tension. « Cela prenait des proportions démentes. J’ai commencé à angoisser en me disant que j’avais fait une grosse erreur. Puis je culpabilisais d’oser penser cela après seulement quelques semaines de mariage », confesse-t-il, expliquant par la suite avoir pris avec son épouse les moyens de mettre son couple sous perfusion — accompagnement par un prêtre, Équipe Notre-Dame, discussion avec de bons amis, etc.
Un wedding blues. C’est sans doute ce qu’a vécu Benoît. Un sentiment naturel et imprévu qu’il faut gérer avant qu’il ne dévore le jeune couple à petit feu.« Chaque grand changement implique de faire le deuil de la situation d’avant », rassure le père Leproux. Selon lui, ce blues signifie que « la nouvelle vie n’a pas encore démarré et qu’elle est en promesse. Pas de panique, donc ».
Vive les saines scènes de ménage !
Une étude britannique affirmait qu’un couple se disputait en moyenne trois cent douze fois par an. Les couples qui marchent à l’électrique en seront réconfortés. Parmi les sujets de conflits, l’argent, la sexualité, le ménage et la belle-famille forment traditionnellement le quarté gagnant. Chaque fois, le litige part d’une divergence d’intérêt ou de désir. D’aucuns pourraient alors penser que, pour l’éviter, il suffirait de supprimer la divergence. Or, la solidité d’un couple réside dans sa subtile capacité à ne faire qu’un tout en restant deux. Dès lors, deux pièges sont à éviter. D’abord, s’imaginer qu’il est possible de changer l’autre. « De toute façon, vous n’y arriverez pas ! », annonce Cyril Lepeigneux. Ensuite, se plier entièrement aux volontés de son conjoint. Au risque d’exploser un jour.
Parce que « l’autre est autre », disait le père Sonet, il est normal que, par moments, cela fasse des étincelles. Normal et même nécessaire - certains thérapeutes considèrent l’absence de dispute comme un signal d’alarme, un signe d’indifférence. Autre caution de poids qui atteste que se quereller n’est pas dramatique : le pape lui-même.« Dans la vie conjugale, on se dispute si souvent... Les assiettes volent aussi. Mais je vous donne un conseil : ne finissez jamais la journée sans avoir fait la paix », expliquait-il lors d’une de ses catéchèses sur la famille, après avoir rappelé les trois mots-clés de la vie commune : « Puis-je », « Merci » et « Pardon ».
Bien se dire les choses
« Dans le milieu catholique, il y a parfois cette tendance à ne pas vouloir dire les choses qui nous tracassent et à emmagasiner nos petites souffrances », explique Sabrina de Dinechin, médiatrice familiale à Paris. Elle conseille au contraire de ne pas enfouir ses problèmes et ses doutes. Sans culpabiliser, il s’agit d’abord de réfléchir sur soi, de discerner où se situent les zones d’inconfort, et d’évaluer les éléments qui devront être améliorés. « Ensuite, il faut prendre rendez-vous avec l’autre en lui annonçant : «J’ai quelque chose à dire sur tel sujet : à quel moment pouvons-nous en parler ?» », poursuit la spécialiste, qui assure que prévenir le conjoint « lui laisse la liberté de choisir le moment opportun pour aborder le plus sereinement possible une difficulté ».
S’assurer qu’on a du temps pour se disputer, pour aller jusqu’au fond des choses, est également important. Aussi, quand la discussion s’envenime, qu’il y a beaucoup d’affect, de la colère, et que l’on sent que tout va exploser, « il est bon d’avoir le recul et la force de dire à l’autre : « Stop ! Je n’en peux plus, je sors faire le tour du pâté de maisons et je reviens». Mieux vaut toujours éviter de claquer la porte », précise Sabrina de Dinechin, qui reconnaît que cela demande une grande maturité. « Mais elle se construit petit à petit », rassure-t-elle. C’est aussi progressivement que le couple apprend à déceler les cercles vicieux conduisant systématiquement à l’escarmouche, ou bien qu’il réalise que les « Tu es bien comme ton père ! » ou les « De toute façon, tu as toujours raison ! » ne résolvent que très rarement les choses...
Prendre du temps pour son couple
« Lequel de vous, s’il veut bâtir une tour, ne s’assied pas d’abord ? » (Lc 14, 28). Tout le monde comprend ce verset d’Évangile : les grands projets nécessitent de se poser. D’ailleurs, le monde du travail en France l’a bien intégré, puisqu’un cadre passe en moyenne 24 jours par an en réunion (enquête Wisembly-Ifop 2016). Si l’enquête ne dit rien sur le temps passé par les jeunes mariés pour construire leur couple, il est probable qu’ils y consacrent moins d’heures. « Pourtant, c’est essentiel ! », martèle Sabrina de Dinechin, qui recommande au moins un rendez-vous hebdomadaire en tête-à-tête. Ce peut être une soirée au restaurant, un café, une balade...
Sans enfant, les premiers temps du mariage permettent de prendre cette habitude, ce moment pour dire à la fois ce qu’on a sur le cœur, mais aussi pour demander à l’autre ce qu’il porte dans le sien. « Les jeunes ont tendance à croire que l’autre à la capacité de savoir qu’il est aimé. Or, ce n’est pas vrai. Il faut sans cesse exposer les choses, même celles qui nous semblent les plus évidentes », rappelle Sabrina de Dinechin. De par son expérience, elle sait que, dans bien des cas, c’est l’arrivée du premier enfant — et la fatigue qui s’ensuit — qui fait remonter au grand jour tout ce qui ne fonctionnait pas, « tout ce qui a été encaissé sans qu’on n’ose rien dire ». D’où l’impératif de prendre le temps de mettre en place unebonne communication de couple.
Revoir régulièrement sa copie
Gonflés à bloc par une préparation au mariage de choc, certains couples entament leur longue route à la manière du sprinter Usain Bolt. Mais attention au claquage. Ce qui a été imaginé par les fiancés doit être éprouvé, puis validé, par la réalité du quotidien. Telle une table Ikea que l’on resserre après quelque temps d’utilisation, bon nombre d’éléments sont à réajuster pour trouver le rythme sain. Ce peut être le compte commun, devenu un lieu de règlement de comptes, le temps passé avec la belle-famille, les amis, la paroisse, le travail, le sport, etc. La prière, par exemple. « Au début, on veut faire chaque soir une belle et grande prière, raconte Cyril Lepeigneux. C’est très bien, sauf quand la barre est trop haute et que, passés quelques mois, on finit par se décourager et, au final, tout lâcher. » L’idée n’étant pas de tirer vers le bas les ambitions des jeunes mariés, mais de les avertir sur l’exigence de la fidélité. « Un Je vous salue Marie à deux, chaque soir, toute une vie, n’est-ce pas merveilleux ? », avance Cyril Lepeigneux. Il insiste sur le fait que la force du mariage chrétien « est que les époux ne sont pas seuls. Priez, demandez, mettez Dieu dans votre mariage, car on n’avance pas bien loin avec ses petits bras ».
« Ce qui fait un couple, c’est la volonté qu’il a de durer. » Dans cette définition, le père Sonet mettait en avant la volonté, et non les sentiments des époux. Une volonté tournée vers l’amour, pour l’amour. Une volonté discrète qui, dans les épreuves et le bonheur du quotidien, réaffirme l’amour fidèle. Ce n’est sans doute pas du goût de Hollywood. Mais, qui sait, un scénariste sonnera-t-il peut-être à votre porte au terme de votre première année de mariage ?
Hugues Lefèvre