separateurCreated with Sketch.

Le piège du christianisme culturel

ELON-MUSK-UNITED-STATES-AFP

Elon Musk.

whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Jean Duchesne - publié le 04/03/25
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
La foi affronte désormais, en plus de l’hostilité et l’indifférence, son acceptation superficielle, analyse Jean Duchesne. L’essayiste se penche notamment sur cette réalité aux États-Unis.

Campagne de Carême 2025

Ce contenu est gratuit, comme le sont tous nos articles.
Soutenez-nous par un don déductible de l'impôt sur le revenu et permettez-nous de continuer à toucher des millions de lecteurs.

Je donne

Les présidents américain et russe ont en commun (entre autres) ce qu’on appelle le "christianisme culturel". Entendons par là l’idée que la tradition religieuse fondée sur la Bible et l’Évangile fournit des "valeurs" parmi lesquelles une grande nation peut, sans avoir besoin de tout accepter, puiser pour nourrir sa vigueur. Cette attitude, détectable chez nous aussi dans de la restauration de Notre-Dame de Paris, paraît préférable à l’hostilité d’un État qui impose une autre croyance ou n’en tolère aucune. Or cette bienveillance distanciée et récupératrice lance un défi à la foi, en la réduisant à une morale éventuellement agrémentée d’une esthétique.

De l’Église nationale à la sécularisation

En Russie, Vladimir Poutine semble bénéficier du soutien de l’Église nationale, qui a toujours été patriotique, et il ne néglige pas de cultiver cet appui. En fait, selon des estimations, faute de statistiques officialisées, après des décennies de communisme environ un tiers de la population va plus ou moins irrégulièrement à l’église et près de la moitié n’y va jamais. Parmi les rares opposants au régime, en revanche, beaucoup ne cachent pas leur foi. C’était le cas d’Alexeï Navalny, qui dénonçait la corruption et est mort dans un pénitencier il y a à peine plus d’un an.

La situation est évidemment différente aux États-Unis. Mais la situation est plus contrastée qu’on l’imagine généralement. D’un côté, en effet, la religiosité recule globalement et, grâce à la manie des sondages, les chiffres surabondent. En faisant une moyenne des résultats des enquêtes aisément accessibles, on peut retenir que les "sans religion" étaient 3% en 1900. En 1950, ils étaient 10%. En 2000, c’était 20%. Et aujourd’hui, c’est près de 30%, avec 40% de protestants, 19% de catholiques, 4% d’autres chrétiens et 7% d’adeptes d’autres "cultes".

Elon Musk à la rescousse !

Cette érosion est contrebalancée, depuis une vingtaine d’années, par quantité d’interventions médiatisées d’intellectuels et personnalités qui assènent que le christianisme est comme le socle sur lequel repose la civilisation, le progrès, l’efficacité, le bien-être… L’affirmation la plus nette est venue du célèbre Elon Musk lui-même ! Dans une interview diffusée le 23 juillet 2024 sur Facebook par The Daily Wire ("Le câble du jour"), une agence de presse conservatrice qui produit de l’info et des commentaires, le milliardaire (né en 1971) a déclaré : "Je suis un chrétien culturel." Il a précisé : "Bien que je ne sois pas particulièrement religieux, je crois que les enseignements de Jésus sont bons et sages. […] Tendre l’autre joue est d’une grande sagesse."

L’allié de l’actuel président américain, qui avait confié en 2021 ne jamais ressentir le besoin de prier, a ajouté : "Les croyances chrétiennes contribuent au plus grand bien de l’humanité, si l’on considère non seulement le présent, mais encore l’avenir. […] Quand une culture perd sa religion, elle devient antinataliste ; elle commence alors à décliner en nombre et peut disparaître." Il était interviewé par Jordan Peterson (né en 1962), psychologue à l’Université de Toronto et psychothérapeute adulé, qui non seulement publie des livres, est un habitué des plateaux de télévision, alimente une chaîne YouTube mais émet aussi force podcasts.

Pour résister au wokisme et à l’islam

Pour cet entretien avec Elon Musk, il portait une veste imprimée de chromos de la Vierge présentant l’enfant Jésus. Il se considère toutefois encore trop peu croyant pour témoigner explicitement et plaide simplement que la foi est bonne pour l’équilibre mental et pour gérer le stress, contrairement au wokisme, qu’il juge pathologique. Mais son épouse Tammy (née en 1965), dont il est amoureux depuis qu’ils étaient enfants et qui est aussi une "influenceuse", s’est récemment convertie au catholicisme, après avoir été guérie, rien qu’en récitant le chapelet, d’un cancer diagnostiqué fatal.

Le ralliement le plus éclatant au "christianisme culturel" est néanmoins celui du biologiste anglais Richard Dawkins (né en 1941), apôtre-en-chef et international du rationalisme athée, auteur de Pour en finir avec Dieu (Perrin, 2009). À la radio, le 31 mars 2024, il a prêché la résistance à la sécularisation de l’Occident, en argumentant que la religion qui comblerait le vide (à savoir l’islam, persécuteur des femmes et des homosexuels) serait bien pire.

Les vertus chrétiennes

Nombre de promoteurs d’un christianisme sans foi et purement formel sont des historiens britanniques. On peut citer Tom Holland, spécialiste de l’Antiquité (né en 1968, à ne pas confondre avec l’acteur homonyme qui s’est illustré dans Spiderman). Il a écrit Comment les chrétiens ont changé le monde (Saint-Simon, 2019). Il y a aussi l’Écossais Niall Ferguson (né en 1964), invité à Harvard (près de Boston) et maintenant à Stanford (Californie). Il a étudié le substrat économique et financier des grands empires. Pour lui, la figure du Christ est la source des vertus qui élèvent l’humanité au-dessus de la survie animale ou (au mieux) tribale.

Il a épousé Ayaan Hirsi Ali, féministe née en Somalie musulmane en 1969, émigrée aux Pays-Bas et menacée de mort par des islamistes. Il lui a dédié Civilisations : Nous et le reste du monde (Saint-Simon, 2014). Il l’a rencontrée aux États-Unis où elle s’était réfugiée, et en 2023 ils ont décidé de rejoindre ensemble l’Église d’Angleterre. On peut encore citer leur ami Douglas Murray (né en 1979), homosexuel non militant et conservateur, pourfendeur de la théorie du genre. Il se proclame "athée chrétien", assurant ne pas arriver à croire, mais être persuadé que le pardon accomplit plus que la vengeance. Il dit aussi admirer Roger Scruton (1944-2020), philosophe des arts et moraliste, soutien des dissidents d’Europe de l’Est, revenu à la foi (anglicane) sur l’intuition puis l’expérience que la vie n’est pas un droit, mais un don.

Éthique et esthétique sans la foi

Mais toutes ces personnalités, dont l’audience sur les réseaux sociaux est signalée par les médias classiques qui les accueillent d’autant plus volontiers, se réclament de Thomas Sowell, un Noir américain (né en 1930) qui a terminé à Stanford sa carrière d’économiste. Pauvre et marxiste dans sa jeunesse, son service militaire le pousse à entamer des études qui le mènent à Chicago et à l’école des "libéraux" nobélisés Milton Friedman (1912-2006) et George Stigler (1911-1991). Il défend la méritocratie et démontre que "l’ingénierie sociale", qui veut corriger les inégalités en donnant des privilèges aux opprimés, les enfonce au lieu de les aider et est aussi inefficace que coûteuse. Voir son Illusions de la justice sociale (Carmin, 2025).

Il est douteux que ces thèses savantes et respectées aient inspiré Donald Trump et Elon Musk, mais elles peuvent expliquer l’écho rencontré par leurs déclarations tonitruantes. Or, si Sowell est applaudi, jusque chez les catholiques, parce qu’il promeut des vertus morales, il n’y a pas dans ses écrits la moindre allusion à aucune religion. Il s’avère ici que le "christianisme culturel" est une béquille (utile mais pas indispensable) pour préserver et prolonger la réussite historique de l’Occident, menacée par l’islam et le wokisme. Un attachement esthétique aux vieilles églises et au culte "à l’ancienne" vient souvent enjoliver l’apologie d’exigences éthiques.

Un substitut au conformisme d’antan ?

Peut-on s’en satisfaire ? On est certes très loin de la radicalité de l’engagement personnel qui semble être aujourd’hui la norme dans l’Église. Dieu ne vomit-il pas les tièdes (Ap 3, 16) ? Reste à se demander si cette superficialité est bien nouvelle : n’existait-elle pas déjà du temps où la religiosité était plus répandue parce que conformiste ? Et puis, qui osera juger (Mt 7, 1 ; Rm 2, 1) ? Le "christianisme culturel" neutralise assez bien le prosélytisme. Mais il prive de prétexte pour exclure la foi du domaine public et renoncer à la confesser sans rien en omettre.

Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)