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Santé mentale : pourquoi les enfants vont-ils de plus en plus mal ?

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Mathilde de Robien - publié le 06/02/25
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Dans un nouveau rapport publié ce jeudi 6 février, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) confirme que la santé mentale des enfants et des adolescents continue de se dégrader en France.

La crise sanitaire liée au Covid s’éloigne, et pourtant, les enfants ne vont pas mieux, loin de là. La consommation de médicaments psychotropes chez l’enfant a augmenté au moment de la pandémie, et continue d’augmenter depuis. En mars 2023, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) avait déjà tiré la sonnette d’alarme en publiant un rapport choc intitulé Quand les enfants vont mal : comment les aider ?, dont Aleteia s’était fait l’écho. Il alertait sur l’explosion de la consommation de psychotropes chez les enfants âgés de 6 à 17 ans. Deux ans après, un nouveau rapport (L’aide et le soin aux enfants et adolescents en pédopsychiatrie et santé mentale) prolonge la réflexion en rassemblant des chiffres actualisés ainsi que les contributions de nombreux experts.

La conclusion est préoccupante : la santé mentale des enfants et des adolescents continue de se dégrader en France. Selon une étude publiée en janvier 2025, 3,94% des 3-17 ans consommaient des psychotropes en 2023 (contre 3,25% en 2011). Un pourcentage qui passe à 5,49% chez les 12-17 ans (contre 4,96% en 2011). Près de 500.000 enfants seraient concernés, ce qui place les petits Français parmi les plus gros consommateurs d’Europe. Une tendance souvent accompagnée d'une part, de pratiques déconseillées, telles que la prescription de médicaments avant l'âge de 6 ans, des polyprescriptions, des durées de traitement longues, et d’autre part, du déclin des pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales de première intention. "Le Conseil ne remet en cause ni l’utilité des médicaments ni la légitimité des prescriptions", souligne Sylviane Giampino, présidente du Conseil de l’enfance et de l’adolescence du HCFEA, "mais plaide pour un rééquilibrage conforme à la plupart des recommandations des autorités de santé, en France et à l’international".

Des prescriptions plus nombreuses et plus longues

L'étude précitée compare en détail la consommation de psychotropes entre 2010 et 2023. En 13 ans, le nombre de délivrances par an et par patient augmente pour la plupart des classes thérapeutiques, en particulier les hypnotiques (+137%), les antidépresseurs (+88%), les antiépileptiques (+62%), les neuroleptiques (+50%) et les psychostimulants (+40%). Les durées de traitement varient considérablement. Si elles sont limitées à un mois pour les anxiolytiques et les antidépresseurs, elles sont en revanche particulièrement longues pour les antiépileptiques (2,4 ans), les antipsychotiques (3 ans) et les psychostimulants (5,7 ans). La durée de traitement a presque doublé : elle est passée de 6,6 ans en 2010 à 11,5 ans en 2023, avec une accélération sur la période 2021-2023. En outre, les polyprescriptions sont fréquentes et concernent l’ensemble des classes de médicaments, quand bien même ces consommations ne font l’objet d’aucune étude scientifique. En 2022, 72 % des médicaments psychotropes destinés à l’enfant sont prescrits par des médecins généralistes, 7 % par des pédiatres et 9 % par des psychiatres et pédopsychiatres.

Le milieu scolaire, une source de stress indéniable

Ce nouveau rapport ne se contente pas de dresser un état des lieux préoccupant, il donne aussi la parole à une douzaine d’experts qui s’efforcent de formuler des hypothèses sur les causes du mal-être des enfants et de proposer des solutions. Outre le climat anxiogène actuel ponctué de crises - économique, sociale, politique, écologique, climatique, internationale… - qui peut légitimement être source d’inquiétudes, voire d’angoisse pour les plus jeunes, le milieu scolaire constitue lui aussi une source indéniable de stress. "Dans les consultations, il n’est pas noté de réelle augmentation des pathologies psychiatriques, mais plutôt une majoration des détresses psychiques, des mal-être avec notamment des troubles anxieux en lien avec l’école : phobies scolaires, attaques de panique, allant parfois de pair avec un harcèlement scolaire/cyber harcèlement", constatent Philippe Duverger, professeur des Universités en pédopsychiatrie, président de la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE), et Béatrice Bayo, directrice de la FNEPE. Les deux experts sont formels : il existe une fluctuation "importante" de survenue de ces troubles en lien avec le calendrier scolaire. Le docteur Sébastien Rouget, chef de service de pédiatrie au Centre hospitalier sud francilien Corbeil-Essonnes et président de la Société française pour la santé de l’adolescent (SFSA), évoque quant à lui, entre autres causes et à titre d'exemple, "les affres de Parcoursup".

Les derniers chiffres de Santé publique France corroborent le lien entre période scolaire et dégradation de la santé mentale des enfants : les passages aux urgences en septembre 2024 ont été en très nette hausse par rapport au mois d’août pour les jeunes de 0 à 17 ans (+138% pour les troubles de l’humeur, +72% pour les troubles anxieux, +47% pour les troubles psychotiques, +101% pour idées suicidaires et +70% pour geste suicidaire).

Le rôle essentiel des parents dans la prévention des troubles psychiques

L’environnement familial joue un rôle essentiel dans la prévention des troubles psychiques. "On sait combien les facteurs sociaux et environnementaux, les situations de ruptures et deuils familiaux, l’âge et le sexe peuvent aussi avoir une incidence sur la santé mentale de l’enfant et de l’adolescent", souligne Sylviane Giampino. Or il semble qu’aujourd’hui les parents aient du mal à prendre leur place de parents. Philippe Duverger et Béatrice Bayo décrivent des "parents soumis à des injonctions sociétales et des pressions multiples, parfois discordantes", perdus entre une éducation bienveillante et positive (modèle Filliozat) et la méthode ferme et autoritaire (modèle Goldman). Des parents qui doutent en permanence, à commencer de leur propre autorité. "Le rapport à l’autorité a beaucoup évolué. Dans la famille, entre Droits de l’Enfant et Droits des parents, c’est une relation contractuelle qui s’établit aujourd’hui, plutôt qu’une relation d’autorité. Il s’agit donc d’une relation d’éducation basée sur la séduction ou la force plutôt que sur l’autorité. Avec notamment l’évitement de tout conflit qui risquerait de remettre en cause l’amour de l’enfant pour son parent", constatent les deux experts. Mais peut-on éduquer sans conflit ? "N’y a-t-il pas une confusion entre autorité et pouvoir et entre obéissance et soumission ?", interrogent-ils.

Autre confusion qui s’installe peu à peu dans l’esprit des parents : la norme et la règle. Philippe Duverger et Béatrice Bayo évoquent "des parents souvent pris dans l’émotion plutôt qu’inscrits dans un registre éducatif, et qui font habituellement la confusion entre la norme et la règle". La question du smartphone en est un excellent exemple. Si la norme aujourd’hui est d’avoir un smartphone à 10-11 ans, la règle d’utilisation du smartphone repose sur l’autorité du parent. "Malheureusement, il semble que c’est la norme qui a pris le pas sur la règle, dans bien des familles", constatent-ils. Des parents hors-jeu et une absence de règles qui laisse l’enfant "construire tout seul son rapport à l’outil numérique".

"Tout seul". Un autre aspect qui inquiète les spécialistes. Philippe Duverger et Béatrice Bayo soulignent l’importance de la présence des parents, notamment lors de l’adolescence, période de vulnérabilité. "Résister à la pression du groupe, exacerbée par les écrans, les likes et les followers, demande une capacité de distanciation, de conscience de l’autre dans sa différence et un jugement moral qui nécessite en général la présence d’un aîné ou d’un parent, adulte. Or, il y a de moins en moins souvent d’adultes, famille comme éducateurs, proches de ces jeunes livrés à eux-mêmes." En écho à ce constat, le sentiment de solitude exprimé par de nombreux adolescents : dans l’enquête EnCLASS publiée par Santé publique France en avril 2024, 21 % des collégiens et 27 % des lycéens déclarent un sentiment de solitude. "Cette solitude des jeunes ne serait-elle pas d’abord celle des adultes ?", interrogent Philippe Duverger et Béatrice Bayo, tout en invitant les parents à "retrouver du plaisir à être ensemble, sans écran, avec leurs enfants", à "transmettre des valeurs" et à "construire des liens de confiance".

Une médication excessive

Certes l’augmentation des prescriptions de psychotropes démontre un profond mal-être chez les enfants, mais elle semble aussi manifester une médication excessive en raison du déficit de l’offre de soins de première intention. Si le médicament a un réel intérêt dans de nombreuses situations pathologiques, le Haut Conseil rappelle que les pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales sont recommandées en première intention, et que dans certains cas, un traitement psychotrope peut être prescrit en deuxième intention, toujours après et en association avec les pratiques psychothérapeutiques. Mais par manque d’accès aux soins, les médecins généralistes se voient bien souvent contraints à des prescriptions "d’attente" afin de soulager la détresse des enfants. "Faute de mieux, on essaie de soulager partiellement les symptômes les plus bruyants par la pharmacologie", constate le docteur Sébastien Rouget. "Le danger, c’est que ces prescriptions "faute de mieux" deviennent progressivement légitimes, voire normales, et que la prise en charge se résume à une prescription médicamenteuse."

Les fantaisies qu’on tolérait antérieurement sont maintenant dénommées des troubles qu’il faut traiter.

Des prescriptions trop nombreuses, données trop tôt (enfants de moins de 6 ans), trop rapidement (en première intention), sur des durées trop longues, mais aussi à des profils qui autrefois n’auraient sans doute pas suscité de consultation médicale. Le docteur Sébastien Rouget évoque un changement de regard de la société, de plus en plus intolérante envers certains comportements, notamment ceux des enfants dits "agités" ou ayant des difficultés scolaires. "La société dans son ensemble est plus intolérante aux variations normales de comportement des enfants et adolescents, et les fantaisies qu’on tolérait antérieurement sont maintenant dénommées des troubles qu’il faut traiter", souligne-t-il. Une remise en question de la frontière entre le normal et le pathologique qui peut mener à une médication excessive.

Les causes du mal-être des enfants sont bien évidemment multifactorielles, mais la prévention, notamment en soutenant les parents, ainsi que l’amélioration de l’accès à des soins non médicamenteux, permettraient de prendre davantage soin de leur santé psychique. Un enjeu de taille puisqu’il concerne le bien-être de la génération actuelle mais aussi de celle à venir. Un effet de ricochet souligné par l'OMS. "Les efforts en faveur de la santé des adolescents offrent un triple retour sur investissement" : pour les jeunes d’aujourd’hui, pour les adultes qu’ils deviendront et pour leurs enfants.

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