separateurCreated with Sketch.

Martine, une sainte imaginaire ?

Sainte Martine. Détail du tableau “Vierge à l’Enfant” du Greco.

whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Anne Bernet - publié le 29/01/25
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Fêtée par l’Église le 30 janvier, sainte Martine n’est connue que par la légende du récit de sa vie. Ses reliques ayant été découvertes en 1634 à Rome, sainte Martine serait une vierge martyre ayant vécu au IIIe siècle.

En 1634, le pape Urbain VIII fait procéder à des travaux dans une vieille église qui menace ruine au pied du Capitole. Pendant ce chantier, les ouvriers découvrent une antique sépulture et, dans un sarcophage, ce qui reste d’un corps féminin ; l’apparat l’entourant fait supposer qu’il s’agit d’une martyre. Mais qui cela peut-il bien être ? Mystère…

Lors des persécutions des premiers siècles, décidées à faire disparaître toute trace du christianisme, l’Église a choisi de dissimuler les reliques des martyrs, puis, dès le début du Ve siècle, les invasions barbares et les dévastations qui les ont accompagnées ont incité les papes à rapatrier derrière l’enceinte de la Ville les saints et saintes vénérés en des sanctuaires devenus impossibles à protéger. Ces translations n’ont pas toujours été faites avec les précautions requises, en raison de l’urgence, de sorte que certaines dépouilles, auparavant bien identifiées, ne l’ont plus été quand il a fallu les inhumer dans leur nouvelle sépulture. S’ajoute encore la question des martyrs anonymes, tombés aux pires moments des persécutions, par dizaines, voire centaines, massacrés dans les amphithéâtres ou exécutés sur le lieu même de leur arrestation, sans aucune forme de procès, dont personne n’a relevé les noms, et ceux qui, déchiquetés par les bêtes, carbonisés, défigurés, n’ont pas été reconnus même par leurs proches… Assurée qu’il s’agit d’authentiques témoins de la foi, l’Église leur a rendu les honneurs dus aux martyrs et s’est bornée à inscrire sur leur tombe : "Celui-là, celle-là, Dieu sait son nom."

La passion de sainte Martine forgée de toutes pièces

À quelle catégorie la jeune fille retrouvée au pied du Capitole peut-elle appartenir ? L’on n’en sait rien. Quelque érudit de bonne volonté va alors l’affubler d’un nom, Martina, qu’en fait, il n’est pas allé chercher bien loin. L’église où l’on a découvert la martyre a été bâtie sur les ruines d’un temple de Mars ; or, Martine, et son masculin, Martin, signifient "dévot de Mars". S’il s’en était tenu à cette plaisanterie, cela ne prêterait pas à conséquence mais notre érudit, s’improvisant romancier, pour ne pas dire faussaire, va forger de toutes pièces une passion de sainte Martine, récit totalement inventé de la vie et de la mort, fatalement affreuse, de la bienheureuse vierge. Il reprend allègrement toutes les atrocités racontées au martyrologe, empruntant un supplice abominable ici, un miracle édifiant ailleurs, sans trop de soucis de la crédibilité de son histoire.

Peut-être suffirait-il d’en rabattre un peu dans cette longue succession de pieuses horreurs, sachant qu’en ce domaine, les bourreaux romains ont été très imaginatifs, et un peu aussi dans cette avalanche d’édifiantes merveilles qui finit par discréditer les vrais miracles, et il y en a eu, entre autres de providentielles extases qui ont soustrait les suppliciés à la perception des souffrances qui leur étaient infligées, pour parvenir à un récit crédible du martyre de la pseudo Martine.

L’empereur Sévère Alexandre pour bourreau

Mais hélas, dans la certitude qu’un fond historique bien documenté donnera de la crédibilité à l’ensemble, notre hagiographe a l’obligeance de fournir une date à la mort de la sainte,  228, et le nom du monstre vicieux qui s’est acharné sur la vierge du Christ : l’empereur Sévère Alexandre en personne.

Hélas, trois fois hélas, Sévère Alexandre, devenu empereur en 222 après l’assassinat de son cousin Héliogabale, est un tout jeune homme doté d’un caractère fort doux, étonnamment chaste pour son milieu, d’une piété mal éclairée car il vénère n’importe quoi, ce qui, de son temps, est fort fréquent, mais, à ce titre, plein de sympathie pour Jésus qu’il a ajouté à son panthéon personnel et dont il reconnaîtrait volontiers la religion si ses conseillers le laissaient faire.

Impossible de prêter au malheureux garçon les pulsions lubriques et le sadisme exacerbé sorti de l’imagination de l’écrivain. D’ailleurs, pendant les dix années que durera son règne, il n’y aura pas un chrétien supplicié pour sa foi dans l’empire. Cette bourde stupide suffira à discréditer le culte de sainte Martine dont on finira par affirmer qu’elle n’a jamais existé, ce qui serait fâcheux puisque, dans l’intervalle et devant l’engouement populaire pour cette bienheureuse miraculeusement redécouverte, on lui a élevé l’une des plus belles églises de Rome et mise au nombre des saintes patronnes de la Ville…

La sagesse incite à une position plus modérée : il semble vraisemblable et crédible qu’une authentique martyre, que l’on peut appeler Martine, repose bien ici. Et qu’importe de savoir qui elle était, quand et comment elle est morte, pourvu que l’on soit assuré qu’elle a donné sa vie pour le Christ ?

Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)