Une première dans l’histoire des réseaux sociaux. Le 28 novembre dernier, le Parlement australien a voté une loi contraignante afin d’interdire les réseaux sociaux avant l’âge de 16 ans. Le texte a largement rassemblé les différents partis, démontrant ainsi un relatif consensus sur les ravages des plateformes comme Instagram, X ou encore TikTok, chez les plus jeunes. C’est pourquoi leur accès va désormais être interdit aux moins de 16 ans, et les sanctions pourront être lourdes financièrement pour ces plateformes, jusqu’à 50 millions de dollars australiens (30,7 millions d’euros), si elles contreviennent.
Que reprochent donc les Australiens aux réseaux sociaux ? Ils seraient source d’anxiété, favoriseraient la pression sociale et plus grave encore, seraient des outils pour les prédateurs en ligne. Le Premier ministre, Anthony Albanese, souhaite ainsi “que les jeunes retrouvent le chemin des terrains de foot, de cricket ou tout autre sport”, plutôt que de rester sur leurs écrans, et pour lui, “une manière d’y parvenir, c’est de restreindre l’accès aux réseaux sociaux”. Si cette interdiction est pour le moment la plus stricte au monde, elle manque encore de détails concrets. Des décrets d'application devraient être connus d’ici à fin 2025, et on sait déjà que WhatsApp et YouTube devraient être exemptés, étant beaucoup utilisés par les collégiens.
Espagne, Chine, France
Si la mise en application sera sans doute difficile, reste que le sujet prend une dimension politique et même mondiale. La prise de conscience est bel et bien là : les réseaux sociaux sont reconnus comme mauvais voire dangereux pour les jeunes. D’autres pays s’intéressent également à ce sujet, et d’autres lois devraient être mises en place, en Espagne notamment où le Conseil des ministres a approuvé en juin 2024 un projet de loi fixant à 16 ans l’âge minimal pour accéder aux réseaux sociaux. L’élaboration d’un système d’identification pour bloquer l’accès aux mineurs est en cours.
Rappelons qu’en Chine, l’accès des mineurs aux réseaux sociaux est interdit et depuis 2023, sans compter l’existence d’un véritable couvre-feu numérique, les mineurs n’ont pas accès à Internet entre 22 heures et 6 heures du matin. La version chinoise de TikTok est par ailleurs limitée à 40 minutes par jour. Quant aux États-Unis, la menace de l’interdiction de TikTok tient certes plus à une question de protection des données américaines et de sécurité intérieure que de protection des mineurs. Mais certains États américains tentent déjà d’interdire également les réseaux sociaux aux moins de 16 ans, comme en Floride où une loi doit entrer en vigueur début 2025.
En France, les réseaux sociaux sont interdits avant l’âge de 13 ans, mais dans les faits, cette interdiction est loin d’être respectée. Ainsi, selon une étude de l'association Génération numérique de janvier 2024, 59% des 11-14 ans sont inscrits sur un réseau social, (et 95% des 15-18 ans). Le top 3 des réseaux : Snapchat, TikTok et Instagram. Et plus inquiétant encore, ils sont 29% des 11-14 ans à avoir discuté avec des inconnus sur internet.
Une loi votée le 7 juillet 2023 a instauré l’âge de la majorité numérique à 15 ans. Les réseaux sociaux devront mettre en place une solution technique pour vérifier l’âge de leurs abonnés, sous peine de se voir infliger une amende pouvant aller jusqu'à 1 % de leur chiffre d’affaires mondial. Une fois promulguée, la loi leur laissera un an pour trouver des solutions techniques, mais pour le moment, cette loi n’est toujours pas entrée en vigueur, faute de décret d'application qui devrait être publié en 2025, suite à un avis de la Commission européenne. Actuellement, la législation européenne laisse la possibilité aux États membres de fixer la majorité numérique entre 13 et 16 ans. À noter que la France fait partie des pays moteurs pour que cette interdiction des réseaux sociaux avant l’âge de 15 ans le soit au niveau européen.
Les dangers des réseaux sociaux
Malgré l’amorce de volontés politiques, en France et dans certains pays d’Europe, la réalité est encore loin d’être protectrice concernant l’usage des écrans chez les jeunes, et notamment celui des réseaux sociaux. De nombreux scientifiques alertent pourtant sur les effets négatifs, voire délétères, des écrans dans le développement cognitif des enfants. Trouble de l’attention, difficultés d’apprentissage et de concentration, les ravages d’un temps passé sans contrainte ni encadrement. Sabine Duflo, psychologue clinicienne et thérapeute familiale, spécialiste des écrans, fondatrice du collectif "surexposition écrans" (CoSE), le constate au quotidien. Interrogée par Aleteia, elle fait la liste de nombreuses pathologies diagnostiquées auprès de jeunes qu’elle a accompagnés, notamment dans une unité psychiatrique fermée. La thérapeute insiste sur l’importance de la prise de conscience à faire de la part des jeunes, des parents et des politiques. "On a tous en tête le slogan "Boire ou conduire il faut choisir". Pour les écrans, on pourrait adopter celui-ci "Regarder un écran ou éduquer un enfant, il faut choisir"", poursuit-elle.
L’utilisation des réseaux sociaux chez les jeunes est par ailleurs particulièrement problématique. Selon une étude de l’OMS, publiée le 25 septembre 2024, 11 % des adolescents montraient des signes d’utilisation problématique des réseaux sociaux en 2022, alors qu’ils n'étaient que 7% en 2018. Que risquent ces jeunes en étant sur les réseaux ? “Ce sont essentiellement des comportements d’addiction et d’utilisation excessive. Je reçois des jeunes qui sont sur leurs réseaux 10 à 15 heures par jour ! C’est donc au détriment de toute autre activité, toute socialisation, qui est essentielle à cet âge, où le jeune doit apprendre à sortir de chez lui, à quitter ses parents pour passer du temps avec ses pairs. Cela affecte également leur sommeil, qui est pourtant indispensable à cet âge pour un bon développement”, ajoute la psychologue.
Alors quel âge pour les réseaux sociaux ?
Si le constat des professionnels est sans appel et scientifique, il suffit de demander aux parents pour un constat, au quotidien, du ravage des écrans sur leurs enfants. Des groupes Facebook comme “Parents unis contre le smartphone avant 15 ans”, pullulent de témoignages inquiétants. “Help, mon fils a 17 ans, un portable depuis ses 14 ans mais sans contrôle parental, on ne sait pas faire… Il nous cache tout, ne travaille pas et nous parle de plus en plus mal et très agressivement dès qu’il est question du portable. C'est source de nombreuses disputes à la maison”. Ce groupe compte aujourd’hui près de 20 000 membres. Aux États-Unis, des parents ont lancé dès 2017 l’initiative "Wait until 8 th" ("pas avant la huitième classe", qui équivaut à la quatrième en France). où ils s’engagent, en signant une "promesse" numérique, à ne pas donner de smartphone à leur enfant avant 14 ans. Cet engagement prend effet lorsque dix autres familles de l’école se sont également inscrites. Le groupe compte aujourd’hui près de 75.000 familles.
Alors quel âge pour les réseaux sociaux ? Pas avant 15 ou 16 ans, semblent répondre aujourd'hui les parents, les professionnels et certains politiques qui commencent à s’emparer du sujet sérieusement. La prise de conscience prend en effet de plus en plus d’ampleur et on sent poindre l’idée qu’il s’agit même d’un véritable enjeu social et sanitaire à venir. Reste donc aux politiques de trouver les moyens de mettre en place de véritables outils de contrôle afin de protéger les jeunes générations des réseaux sociaux.