Une énième traduction de la Bible ? Certes, la Bible Le Maistre de Sacy que viennent de rééditer les éditions du Cerf s’ajoute à la liste des bibles aujourd’hui disponibles, des plus connues comme la Bible de Jérusalem ou la Traduction Œcuménique de la Bible en passant par des bibles moins diffusées comme la Bible des peuples et la traduction des pères sulpiciens Osty et Trinquet et, surtout, l’édition liturgique, lue à la messe. Cependant, la diversité des versions de l’Ancien et du Nouveau Testament ne nuit guère, bien au contraire. Elle manifeste que le Dieu unique se donne à voir de bien des manières, et que l’esprit humain a besoin de cette variété pour tenter de saisir un tant soit peu de l’infinité du Créateur. Toute nouvelle traduction est donc un étonnement et un renouvellement.
Mais l’intérêt de cette réédition est aussi patrimonial et linguistique. Patrimonial, parce la traduction, commencée au milieu du XVIIe siècle, a été pendant plus de deux siècles la plus utilisée en France, notamment par les hommes de lettres. Stendhal y voit même, dans ses Mémoires d’un touriste, en 1837, "la perfection du français". Victor Hugo et Arthur Rimbaud ont pratiqué les Écritures grâce à ce texte. Rien ne prédisait un tel avenir à une traduction entamée par un groupe de "solitaires" de Port-Royal, intellectuels venus vivre et travailler à côté de l’abbaye finalement détruite sous ordre de Louis XIV à cause de son jansénisme en 1710. Longtemps, le texte a d’ailleurs été appelé "Bible de Port-Royal", mais les éditions du Cerf ont choisi d’honorer un de ses principaux artisans.
Le neveu de mère Angélique
Louis-Isaac Le Maistre de Sacy (1613-1684), neveu de mère Angélique, fameuse réformatrice de Port-Royal, est entraîné dans ce travail de traduction dans les années 1630 par son frère. Avec Antoine Arnauld, brillant théologien, Pierre Nicole et même Blaise Pascal, le projet naît du souci – très moderne – de rendre le texte accessible au plus grand nombre, en s’appuyant sur la Vulgate de saint Jérôme mais aussi l’hébreu et le grec. Après la mort de l’aîné, Louis-Isaac, devenu prêtre, est le principal traducteur, embastillé de 1666 à 1668 pour sa proximité avec le jansénisme et après avoir publié le Nouveau testament en langue vernaculaire. Le succès est immense et immédiat.
Son séjour en prison lui permet cependant d’ajouter d’importants commentaires. Mais le travail est tellement important que la première parution complète de la Bible n’a lieu qu’en 1696, avec trente-deux volumes. Rééditée régulièrement, expurgée de ses notes pour la rendre plus accessible, elle est aujourd’hui rénovée dans sa version de 1759, la plus répandue, avec une modernisation de l’orthographe à défaut de la syntaxe.
La beauté d’une langue
Le lecteur contemporain n’y trouvera bien évidemment pas les apports scientifiques, historiques, archéologiques, philologiques, du XXe siècle, période inédite de renouveau de l’exégèse. En revanche, puisque Sacy voulait "accorder la majesté du style à la majesté de Dieu", reprenant la parole du Christ lors du Sermon sur la montagne, "Soyez donc vous autres parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5, 48) chacun goûtera la beauté d’une langue où chaque mot est choisi avec soin, les traducteurs ayant eu tout au long de leur travail un rare sentiment de leur imperfection.
Ce souci du beau rappelle, et voilà sûrement l’intérêt spirituel d’une telle lecture, que la Parole de Dieu doit être autant étudiée qu’aimée, et que la beauté est l’un des attributs du Père. Il a choisi de se révéler dans le Verbe, comment les mots qui le disent pourraient-ils être d’un médiocre intérêt ? Pour le montrer, voici quelques versets piochés au hasard de la subjectivité, très (trop ?) connus mais que la traduction de Le Maistre de Sacy renouvelle. Ainsi du psaume 22 : "C’est le Seigneur qui me conduit : rien ne pourra me manquer. Il m’a établi dans un lieu abondant en pâturages ; il m’a élevé près d’une eau fortifiante" (Ps 22, 1-2). Ou d’un verset qui invite à s’ouvrir à Dieu : "Me voici à la porte, et j’y frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je souperai avec lui, et lui avec moi" (Ap 3, 20). Et, pour finir, la découverte par le prophète Élie que le Créateur ne s’impose pas à ses créatures mais se montre dans la délicatesse : "Après le tremblement, il s’alluma un feu ; et le Seigneur n’était point dans ce feu. Après ce feu, on entendit le souffle d’un petit vent. Ce qu’Élie ayant entendu, il se couvrit le visage de son manteau" (1R 19, 12-13).
Pratique