Pour commémorer les 350 ans des apparitions du Sacré-Cœur de Jésus à sainte Marguerite-Marie, le sanctuaire de Paray-le-Monial a choisi comme thème "Rendre amour pour amour". Son objectif ? Remettre d’actualité la "réparation". À travers la magnifique encyclique Dilexit nos (DN) sur l’amour humain et divin du Cœur du Christ, François a pleinement repris à son compte ce thème. C’est d’ailleurs celui de la dernière partie de l’encyclique : "Amour pour amour", signe que le jubilé des 350 ans a été à l’origine de la publication de cette encyclique.
Omniprésence, éclipse et actualisation de la réparation
Au XIXe siècle, une insistance démesurée sur la justice divine ainsi qu’une focalisation exagérée sur la dimension pénitentielle de la réparation, entraînèrent des déséquilibres au point de "penser que le sacrifice du Christ est incomplet ou partiellement efficace, ou que sa miséricorde n’est pas assez grande" (DN, 195). La réparation est tombée dans les écueils de l’intimisme, du dolorisme et du volontarisme. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, en France et, plus largement, en Occident, cela entraîna en réaction un rejet de la réparation, devenue incompréhensible et associée à un obscurantisme austère révolu. Ce sont justement ces écueils que dénonce le Pape pour reproposer à toute l’Église la doctrine authentique. Pour cela, il s’appuie sur sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et saint Jean-Paul II, dans "un esprit de réparation plus conforme à l’Évangile" (DN, 181), en replaçant la réparation "dans le contexte de la dimension sociale" (DN, 152) de la dévotion au Cœur de Jésus.
S’inscrivant dans la doctrine traditionnelle de la réparation, le pape en actualise la compréhension selon une triple approche : premièrement, la civilisation de l’amour ; ensuite, l’offrande à la Miséricorde divine et enfin, l’annonce de l’Évangile.
Construire une nouvelle civilisation de l’amour
Face aux structures de péché découlant de la répétition des péchés contre les autres, favorisées par la culture de l’égoïsme et de l’indifférence, la réponse demandée par le Cœur de Jésus est la conversion du cœur qui permet la restauration de ces structures. C’est le "sens social de la réparation au Cœur du Christ" développée par le pape François aux numéros 182-190. Le pape s’appuie sur la lettre que Jean-Paul II a remise au préposé général des jésuites, le père Kolvenbach, lors de sa venue à Paray-le-Monial le 5 octobre 1986. Il y dit la véritable réparation que le Cœur de Jésus attend de nous :
"Avec le Christ, nous sommes appelés à construire une nouvelle civilisation de l’amour sur les ruines que nous avons laissées en ce monde par notre péché… Au milieu du désastre laissé par le mal, le Cœur du Christ veut avoir besoin de notre collaboration pour reconstruire le bien et le beau" (DN, 182).
Pour être authentiquement chrétienne, la réparation ne consiste pas en un "ensemble d’œuvres extérieures", mais elle exige une "mystique, une âme, un sens" (DN, 184) qui provienne de la dévotion au Cœur de Jésus. Nous avons là une réactualisation du thème du "Règne social du Christ".
L’offrande au Christ miséricordieux
Le pape François développe une deuxième manière, "complémentaire" (DN, 191), de comprendre la réparation, dans les numéros 191 à 204. Il dit que Dieu "a voulu se limiter lui-même de quelque manière" (DN, 192). Cela signifie que lorsque nous refusons son amour ou que nous n’y accordons pas d’importance, nous limitons "les effets de sa puissance et la fécondité de son amour en nous…". "Notre refus l’arrête". À l’inverse, si nous lui faisons confiance et que nous nous donnons à lui en réponse d’amour, nous lui offrons en nous "un canal sans obstacles à l’effusion de son amour" (DN, 193) et, à travers nous, dans le monde.
Sainte Thérèse de l’Enfant l’avait parfaitement saisi. En s’offrant à la miséricorde divine, elle lui permet de se répandre sans entrave :
"Ô mon Dieu, votre amour méprisé va-t-il rester en votre Cœur ? Il me semble que si vous trouviez des âmes s’offrant en Victimes d’holocauste à votre Amour, vous les consumeriez rapidement, il me semble que vous seriez heureux de ne point comprimer les flots d’infinie tendresse qui sont en vous."
(Lettre de sainte Thérèse au père Roulland, citée par DN, 196.)
Telle est la géniale intuition thérésienne : s’offrir en holocauste à la miséricorde divine et non à la justice comme cela se faisait habituellement à son époque. D’où l’invitation solennelle de François à développer cette forme de réparation comme une "nouvelle possibilité de répandre en ce monde les flammes de son ardente tendresse… nous offrons de nouvelles expressions à la puissance restauratrice du Cœur du Christ" (DN, 200). Le pape n’évacue pas ce que la doctrine traditionnelle de la réparation affirme sur l’importance des renoncements et de la souffrance. Mais, il montre comment l’abnégation et les peines "remplissent cette fonction réparatrice lorsqu’ils sont nourris par la charité du Christ qui nous rend capables d’aimer comme Il a aimé. Et c’est de cette manière qu’Il aime et sert à travers nous" (DN, 203).
La participation à la mission pour le salut du monde
Le Pape conclut son développement sur la réparation par des pages brûlantes du feu de la mission (DN, 205-216). En livrant sa source d’inspiration la plus profonde, c’est-à-dire l’amour du Cœur de Jésus, François donne la clef de lecture de tout son magistère, de Laudato si’ à Tutti fratelli. Pour cela, il cite Jean-Paul II pour qui la réparation est comme "une coopération apostolique pour le salut du monde" (cité dans DN, 206). En cela, la dévotion au Cœur de Jésus est véritablement un centre intégrateur et unificateur de la vie chrétienne :
"À la lumière du Sacré-Cœur, la mission devient une question d’amour… La mission, comprise dans la perspective du rayonnement de l’amour du Cœur du Christ, a besoin de missionnaires amoureux, toujours captivés par le Christ et qui transmettent inlassablement cet amour qui a changé leur vie" (DN, 208 et 209).
Par l’annonce joyeuse de notre rencontre avec Jésus, y compris auprès des plus méprisés de notre société humaine, nous réparons son Cœur blessé par l’indifférence et de l’ingratitude d’un monde qui s’est détournée de lui.