"Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit" dit la liturgie à la fin de chaque psaume pendant les offices. Mais aussi le chapelet à la fin de toutes les dizaines. À la messe, les fidèles chantent "gloire à Dieu", et saint Jean met dans la bouche de Jésus après le Lavement des pieds cette parole énigmatique qui en évoque d’autres du quatrième évangile : "Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui." (Jn 13,31) Dans le langage courant, pourtant, la gloire n’est pas toujours appréciée, renvoyant à une renommée qui pourrait être recherchée pour elle-même.
Le Vocabulaire de théologie biblique rappelle en effet deux aspects étymologiques de la gloire. En grec, la doxa qui a été rendue par le gloria latin et le "gloire" français désigne l’opinion. Cette manière d’entendre le mot met donc l’accent sur la réputation. En hébreu, la racine est kabôd qui exprime l’idée d’un poids, qui pourrait être traduit par "être lourd". Il y a là l’idée d’une valeur fondée sur l’existence et sa densité. Le mot est utilisé aussi pour le foie, lieu de lourdeur alimentaire, comme dans le psaume 56. S’exclamer "Mon cœur est prêt, mon Dieu, mon cœur est prêt ! Je veux chanter, jouer des hymnes ! Éveille-toi, ma gloire !" (vv. 8-9) signifie "réveille-toi mon foie", organe qui figure l’âme, qui donne sa consistance à l’être humain et origine des sentiments comme la bile était celle des humeurs dans la médecine antique.
Le poids infini du Créateur
Parler de la gloire de Dieu, dans la tradition biblique, consiste donc à reconnaître le poids infini du Créateur : dans son existence-même, dans ses hauts faits, dans ses manifestations grandioses. Le livre de l’Exode peut ainsi dire : "Les Égyptiens sauront que je suis le Seigneur, quand je me serai glorifié aux dépens de Pharaon, de ses chars et de ses guerriers." (Ex 14, 18) Où Dieu met tout son poids dans la balance au détriment des oppresseurs de son peuple. Et encore, dans la bouche d’Aaron, cette prophétie, "vous verrez la gloire du Seigneur", réalisée le lendemain : "du côté du désert, et voici que la gloire du Seigneur apparut dans la nuée." (Ex 16, 7.10)
Dès la sortie d’Égypte, la gloire de Dieu est cette nuée, qui n’est donc pas une idée mais une réalité souvent représentée dans les arts comme un imposant nuage. Elle suit la colonne des Hébreux en marche vers la Terre promise et remplit plus tard le Saint des saints, manifestant la présence de Dieu dans le Temple de Jérusalem. Quand, dans l’Évangile, le Christ parle de "glorifier" son Père, en particulier par le don de sa vie, il exprime ainsi quelque chose de puissant : le don de sa vie est présence de Dieu, il donne importance et poids aux promesses du Créateur.
Quand les fidèles rendent gloire à Dieu et le chantent durant l’eucharistie, ils reconnaissent la solidité, la stabilité, la densité, pourrait-on dire, de l’être divin. Quand saint Ignace de Loyola agit ad maiorem Dei gloriam (pour la plus grande gloire de Dieu, devise des Jésuites), il donne du crédit à la Trinité en même temps qu’il acquiert de l’épaisseur. Car la vie sainte, qui permet la glorification, la vie éternelle, consiste bien à s’alourdir de la croix du Christ par la charité. Ce poids, difficilement acquis, a du prix aux yeux du Père, même si les regards humains ne l’apprécient pas toujours à sa juste valeur. La renommée, elle, ne pèse pas grand-chose au moment du Jugement.