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J-2 : La formidable résurrection des Mays de Notre-Dame

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Depoussierage et décrassage de la toile et retrait de la couche de vernis. de "La conversion de saint Paul" de Laurent La Hyre, 1637.

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Caroline Becker - publié le 05/12/24
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À l’occasion de la réouverture tant attendue de Notre-Dame de Paris les 7 et 8 décembre prochains, les visiteurs auront le privilège de redécouvrir les treize somptueux Mays qui ornaient les murs de la cathédrale avant l’incendie. Restaurés avec soin, ces magnifiques tableaux du XVIIe siècle ont été raccrochés et seront de nouveau accessibles au regard du public.

Qui pourrait oublier ces images bouleversantes ? Le 16 avril 2019, les pompiers, assistés  par des experts en patrimoine, évacuaient les trésors de Notre-Dame de Paris parmi lesquels les immenses Mays, ces toiles offertes à la cathédrale chaque mois de mai par la corporation des orfèvres parisiens entre 1630 et 1707. Ces tableaux majestueux, symboles d’un patrimoine artistique et spirituel, étaient extraits dans l’urgence, leurs dimensions imposantes ajoutant à la tension de l’opération. Cette nuit-là, c’est en tout treize Mays qui ont été sauvés parmi les 25 tableaux évacués. 

Treize, c’est tout ce qu’il reste dans Notre-Dame des 76 tableaux commandés par la confrérie entre 1630 et 1707. Jugés trop encombrants au XIXe siècle, beaucoup ont été dispersés. Eugène Viollet-le-Duc n’en retiendra que quelques-uns pour décorer les chapelles de la cathédrale. Les autres partiront ailleurs en France dans des églises, le Musée du Louvre ou les musées régionaux où on peut encore les admirer. Véritables chefs-d’œuvre de la peinture religieuse, et qui pouvaient mesurer jusqu’à 4,5 mètres de haut, ces tableaux rendent hommage à la Vierge Marie, illustrent les Actes des Apôtres, les Évangiles ou évoquent les thèmes fondateurs de la Contre-Réforme. 

Une cathédrale qui revient à la vie

Aujourd’hui, Notre-Dame de Paris revit, pièce par pièce, trésor par trésor, retrouvant peu à peu son âme grâce à la réintégration de ces chefs-d'œuvre. Les treize tableaux ont en effet été réinstallés dans la cathédrale durant l’automne 2024. Un retour qui a demandé une logistique exceptionnelle durant plusieurs semaines : engins de levage, échafaudages et  équipes spécialisées ont été mobilisés pour réinstaller les tableaux avec le plus grand soin. 

Bien qu’ils n’aient subi aucun dommage suite à l’incendie, les treize Mays ont fait l’objet d’une grande restauration d’octobre 2021 à décembre 2023 en compagnie de neuf autres grands tableaux. "Le 16 avril au matin, quand je suis retournée dans la cathédrale, j’ai eu la joie de voir que tous les tableaux étaient intacts et n’avaient absolument pas souffert de l’incendie", se souvient encore Marie-Hélène Didier, conservatrice générale du Patrimoine à la DRAC. 

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Depoussierage et decrassage de la toile et retrait de la couche de vernis. de "La conversion de saint Paul" de Laurent La Hyre, 1637.

Cette grande opération de restauration a été portée par la Conservation régionales des monuments historiques (CRMH) de la DRAC Île-de-France, avec le soutien du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), le musée du Louvre et la Conservation des œuvres d'art religieuses et civiles (COARC) de la Ville de Paris. "Parmi les 13 Mays, 10 ont été financés par la souscription nationale et trois autres par la fondation Friends of Notre-Dame de Paris", précise Vivian Sicard, chargé de la communication à la DRAC", car ces trois appartiennent à la ville de Paris". 

Mis à l’abri rapidement au lendemain de l’incendie, les tableaux ont ensuite été dépoussiérés puis analysés afin d’établir un constat détaillé. En 2020, c’est un site spécialement dédié à la restauration des tableaux qui a été aménagé en seulement six semaines dans l’Essonne pour répondre aux exigences de conservation et de sécurité. Une fois les constats établis et les interventions validées, les tableaux ont été confiés aux mains expertes de plusieurs restauratrices. "On a sélectionné trois équipes car une équipe ne pouvait pas faire 22 tableaux sinon nous n’aurions pas tenu les délais", précise Marie-Hélène Didier. C’est au total 70 personnes qui ont été mobilisées sur cette opération de grande envergure. "On va retrouver une cathédrale comme on ne l’a jamais vu", confie la conservatrice "avec un intérieur restauré mais aussi des tableaux et objets restaurés". 

Consciente de faire partie d’une mission exceptionnelle, Isabelle Chochod, restauratrice de tableaux à qui l’on a confié huit Mays à restaurer, témoigne de sa fierté de faire partie d’une telle aventure. "Notre métier, ce n’est pas du tout la création, c’est un métier de l’ombre. On est au service du peintre. J’ai l’impression de côtoyer des gens du XVIIe siècle, c’est vertigineux", ajoute-t-elle. Mais le métier de restauratrice consiste à conserver avant de restaurer, détaille Isabelle. "On essaye de transmettre aux générations futures le patrimoine commun". Grâce à leur expertise et aidées par l’imagerie scientifique, les  équipes de restauratrices ont ainsi pu pénétrer au plus profond des couches afin d’identifier plus facilement les altérations et comprendre le travail du peintre. Après une première phase de nettoyage pour enlever les éventuelles tâches, salissures et projections, les restauratrices ont entamé la phase de "réintégration" pour consolider et combler les manques avant de venir appliquer le vernis. Vient ensuite l’étape finale, celle de la retouche, qui vient harmoniser le tableau.

À la restauration des toiles peintes s’ajoute, ce que l’on devine moins, toute la restauration des supports, à savoir les châssis. Certains, abîmés par des déchirures et des déformations, ont dû être restaurés tandis que d'autres, trop endommagés, ont nécessité un remplacement complet. "Un châssis qui est original a une valeur historique et d’ancienneté. On va vouloir le conserver le plus possible mais la priorité c’est qu’il ne génère pas de dommage sur l'œuvre", explique Hortense Robert, restauratrice de tableaux. "Le plus important, c’est que les restaurations ne soient pas définitives", ajoute Cinzia Pasquali, également restauratrice de tableaux sur le chantier de Notre-Dame. "Tout doit être modifiable et réversible." "Nous ne sommes qu’un maillon dans cette chaîne", conclut une de ses consoeurs, Laurence Mugnio.

Une muséographie nouvelle

Une fois la toile et le châssis restaurés, l'œuvre est réintégrée dans son cadre, qui a, lui aussi fait l’objet d’une restauration minutieuse. "Lorsqu’on remonte le tableau dans son cadre, c’est un moment où je suis assez fébrile parce que c’est la finalité. Sur un plan émotionnel, ce n’est pas rien", raconte ému Jean-Pierre Galopin, l’un des restaurateurs du chantier qui s’est occupé de rendre aux cadres leur éclat doré. 

Dévoilés au grand public lors d’une exposition exceptionnelle au Mobilier national au printemps 2024, les Mays ont désormais regagné les murs de Notre-Dame, retrouvant leur place au cœur de la cathédrale. Grâce à une muséographie repensée par la DRAC en collaboration avec le diocèse, ces chefs-d’œuvre s’intègrent harmonieusement dans les chapelles latérales, célébrant la cohérence liturgique avec une répartition dédiée à saint Pierre à l’est et saint Paul à l’ouest. Dans quelques jours, visiteurs et fidèles pourront redécouvrir cette résurrection incroyable qui témoigne de la force du patrimoine à renaître après l’épreuve.

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