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Le Vendée Globe dans la mer morte

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Départ du Vendée Globe, 10 novembre 2024.

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Henri Quantin - publié le 04/12/24
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La mythique course au large en solitaire du Vendée Globe est-elle toujours ce que vous croyez ? L’écrivain Henri Quantin a un doute.

21 juillet 1969. Silences émus, explosions de joies, cris hystériques… on a marché sur la lune ! Une voix manque pourtant à la foule enthousiaste. Pas la voix soviétique qui s’étrangle devant le triomphe du rival américain, mais une voix plus douce. Cette voix chante. Nostalgique, donc un peu rabat-joie, elle chante "la lune est morte". Derrière la prouesse technique inouïe, l’auteur de la chanson, Jacques Mareuil, devine ce qui disparaît et regrette ce qui s’efface : il ne voit pas un grand pas pour l’humanité, mais une trace de pied qui souille un lieu immaculé. Les frères Jacques se chargent de donner un peu plus d’écho à ces paroles inspirées : "Un homme marche sur le sol / de ce vieux miroir de vos rêves / et c’est votre cœur que l’on crève, / la corde qu’on vous passe au col ! / Il va falloir aller plus bien, / par-delà des millions d’étoiles, / à la recherche de l’étoile / qui vous fera rêver demain."

Puis le refrain invite quelques êtres réels ou imaginaires à s’unir à la plainte pour former un chœur élégiaque : "Pleurez, Pierrot, poètes et chats noirs, la lune est morte ce soir."

Une lettre par jour de course

Est-ce nostalgie excessive de regarder la flotte du Vendée Globe sillonnant les mers avec les mêmes yeux que le poète pleurant devant la conquête spatiale ? On se souvient d’un skipper qui, il y a quatre ans, se réjouissait de "l’open bar sur les coms". Devant le nombre de concurrents qui se transforment en Youtuber, on comprendrait que des complotistes en viennent à soupçonner certains de se filmer dans la baignoire de leur salle de bain, avec un petit bateau en plastique.

Dans une course dont la première édition ne date pourtant que de trente-cinq ans, on se demande, en tout cas, si les navigateurs actuels pratiquent la même activité que leurs aînés. Pour la deuxième édition, en 1992-1993, un admirateur de Loïck Peyron lui avait envoyé par avance 109 lettres dans des enveloppes cachetées, afin qu’il en ouvre une par jour de course pour tromper la solitude : la dernière devait coïncider avec sa victoire et un nouveau record de l’épreuve. Peyron fut contraint à l’abandon, cette année-là, mais l’anecdote offre un saisissant contraste avec celle qu’a récemment racontée l’un des concurrents actuels sur les réseaux sociaux : "Mes trois filles étaient en rade pour dîner parce que leur maman était au tennis. Du coup, mon aînée m’a appelée et du milieu de l’Atlantique Sud, j’ai fait une commande McDo sur Uber Eats et le McDo a été livré à 20h10 à la maison à Vannes." Appel du pied pour un nouveau sponsor ?

Le coup de grâce

L’épisode pourrait sans doute être comparé par un moraliste ou un sociologue à un repas familial traditionnel, mais nous nous contenterons de citer le "mécontemporain" Alain Finkielkraut. À un journaliste du Point qui lui demande "comment reciviliser Internet", il répond : "La seule manière de reciviliser Internet, c’est de se déconnecter, d’éteindre son ou ses écrans et de lever la tête aussi souvent que possible." Naïvement, on aurait pu croire que le conseil était inutile pour un marin seul en mer, que le ciel soit étoilé ou que les nuages menacent.

Le skipper a fait précéder son récit d’un avertissement : "Je vous préviens, le mythe du marin solitaire aventurier va en prendre un coup…" Ce coup-là est-il le coup de grâce ? Y aura-t-il une voix pour chanter "la mer est morte" ? Peut-elle suggérera-t-elle alors aux marins modernes qu’on peut découvrir dans la solitude des océans autre chose que du poisson pané.

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