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De Jean Touret, on connaît généralement l’autel de Notre-Dame de Paris. Est-ce son chef-d’œuvre ? C’est en tout cas la plus célèbre de ses réalisations. Contrairement à certaines fausses informations qui ont circulé, l’autel de Touret n’a pas été détruit par l’incendie de 2019 ; il a été à peine endommagé. On envisage de l’installer dans la cathédrale de Bourges.
Une œuvre cohérente
Un nouvel ouvrage consacré à Jean Touret vient de paraître. Publié par les éditions AAM, il se distingue par une remarquable qualité d’illustration et de mise en page. Ce livre se concentre sur son art sacré. Un précédent ouvrage, plus luxueux mais moins diffusé, avait été publié il y a deux ans aux éditions de l’Amateur. Celui-ci s’intéressait surtout aux premières années de Touret, lorsque, au sortir de la guerre, ce peintre s’était fait ébéniste et sculpteur. Dans un village de la Beauce, il avait dirigé Les Artisans de Marolles, une coopérative renommée pour sa production de meubles et d’objets.
Pour découvrir ces premières œuvres, il faut pousser la porte de la galerie Yves Gastou, près de l’École des Beaux-Arts de Paris, ou celle de la galerie Desprez-Bréhéret, non loin de la place des Victoires. Mais il manquait une synthèse dédiée à son œuvre religieuse. François Touret et Jean-Noël Hallet viennent de combler cette lacune. En feuilletant les 260 pages de ce livre, richement illustré de 255 reproductions, on découvre une œuvre empreinte d’une remarquable cohérence : des sculptures en bois aux formes dépouillées, aux arêtes vives, mais aussi des pièces d’orfèvrerie, des vitraux, des bas-reliefs en bronze ornant des églises. Soudain, l’autel de Notre-Dame passe au second plan : c’est tout un artiste qui s’inscrit au cœur de l’histoire de l’art sacré contemporain du diocèse de Paris.
Un héritage transformé
Une exposition viendra compléter la publication dès la fin de ce mois de novembre à l’abbaye de Fontevraud. L’heure est donc bien aux inventaires et aux redécouvertes. Mais qu’avons-nous fait de cet héritage ? D’abord, nous l’avons souvent transformé. Il est surprenant, par exemple, de découvrir la photographie de la chapelle d’une aumônerie étudiante aménagée par Touret en 1967 et d’apprendre que cet espace a depuis été réaménagé. Le patrimoine des années 1960 demeure particulièrement fragile, et on ne le répétera jamais assez.
Nous avons aussi beaucoup caché. Rares furent les œuvres de Touret aussi accessibles que l’autel de Notre-Dame. Parmi ses réalisations, citons celles de la chapelle des Bénédictines de Montmartre (1 988), de la chapelle de Tous-les-Saints (1992) au boulevard Raspail — au sein de la maison de retraite des prêtres âgés du diocèse de Paris — ou encore les œuvres réalisées pour l’appartement de Jean-Marie Lustiger en 2003. On retrouve également sa marque à l’oratoire des Bernardins en 2008. Autant de lieux discrets, peu accessibles, contrairement à la paroisse Sainte-Jeanne-de-Chantal, porte de Saint-Cloud, où Touret accompagna le futur cardinal pendant une décennie à partir de 1969. L’art de Touret est une graine enfouie dans des lieux de prière, un art silencieux dédié à des oasis monastiques au cœur de la capitale.
À l’écoute de l’archevêque et du peuple de Dieu
L’ouvrage se distingue également par des archives judicieusement reproduites, notamment des échanges entre Jean Touret et Jean-Marie Lustiger, son commanditaire. On y apprend, par exemple, que le sculpteur dut reprendre une œuvre de la Vierge jugée trop abstraite par les paroissiens. On découvre aussi que le Vatican avait exprimé des réserves sur la crosse de l’archevêque : contrairement à l’usage, elle n’était pas courbée comme celle des évêques mais en forme de croix, à l’image de la férule papale, normalement réservée au souverain pontife.
Touret répondait à des commandes qui parfois s’affranchissaient des règles en vigueur — ce qui relève de la responsabilité de l’archevêque. Et parfois il traitait les commandes en étant trop audacieux concernant la sensibilité des paroissiens — ce qui, là encore, relève de la responsabilité de l’archevêque. Quel intérêt au fond que de s’affranchir d’un usage traditionnel ? Pourquoi se jouer des règles plutôt que de composer avec elles ? Et quel est l’intérêt de risquer de déplaire à ceux qui veulent prier la Vierge Marie ? Les paroissiens de Sainte-Jeanne-de-Chantal, réconciliés avec la nouvelle version de la sculpture de la Vierge, lui demandèrent une statue de la petite Thérèse. Les œuvres de Touret révèlent aussi le rôle créatif de Jean-Marie Lustiger. Diriger, dialoguer, ce sont là les rôles de tout commanditaire ; car rien ne serait plus absurde que de laisser une liberté totale aux artistes. Mais ce rôle n’est légitimement exercé que lorsqu’il se fonde sur l’écoute du peuple de Dieu.
Une œuvre fragile à redécouvrir
Enfin, les œuvres de Touret se distinguent par leur fragilité, qu’il s’agisse de l’autel de Notre-Dame, des sculptures des Trois Hiérarques de la cathédrale, des sièges des célébrants ou de la croix frêle et vulnérable de l’oratoire de l’association Tibériade. Ce lieu, ouvert en 1988 rue de Varenne pour accueillir les malades du sida, a depuis été désinstallé.
Jean Touret, disparu il y a à peine vingt ans, reste pourtant un artiste dont il faut redécouvrir le travail. Ce livre permet de replacer ses œuvres dans leur contexte. Car notre époque, si changeante et peu encline aux aménagements pérennes, met souvent en péril ces témoignages fragiles d’un art sacré qu’il nous faut encore apprendre à respecter. Si aujourd’hui ils nous indiffèrent, demain, nous les regretterons. Demain, sans doute aurons-nous soif des œuvres de Jean Touret.
Pratique :