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Commençons par avouer prendre l’actualité religieuse avec des pincettes. Il y a bien sûr des événements qui méritent quelque attention. Ainsi, à l’échelle planétaire, la mort d’un pape et l’élection d’un successeur, les encycliques, lettres pastorales et synodes, les canonisations et béatifications, tout ce que le calendrier liturgique invite à marquer et partager, etc. C’est un peu la même chose au niveau local, national, diocésain et même paroissial, y compris à l’occasion de péripéties désolantes, comme l’incendie de Notre-Dame de Paris, ou réjouissantes, telle sa prochaine réouverture. Mais le reste : les évaluations de la place de l’Église dans la société, les disputes internes sur la "gouvernance" des institutions et les scandales d’abus sexuels ou autres — tout cela n’a d’intérêt que plutôt médiocre.
Prenons le point sensible de la sécularisation tournant à la déchristianisation. Celle-ci est un fait avéré, établi par des statistiques et analysé par des sociologues et autres observateurs des mœurs et de la culture. Mais on ne peut raisonnablement guère en conclure à davantage qu’une baisse sensible de l’incitation du milieu à l’adhésion de foi — c’est-à-dire un effilochement sous nos climats du conformisme religieux. C’est une évolution qui apparaît liée au développement de l’autonomie des individus, elle-même promue par le progrès de la sécurité et même du confort, lesquels stimulent l’étalage des états d’âme et offrent, à défaut de véritables libertés, toujours plus de possibilités.
Était-ce vraiment mieux avant ?
La question est dès lors de savoir si "c’était mieux avant", quand chez nous l’immense majorité des gens passaient par l’église, sans le choisir, au minimum pour leur baptême, leur première communion, leur mariage et enfin à leur mort. Toute réponse serait présomptueuse : nul ne peut sonder les cœurs ni juger en se substituant à Dieu. Combien n’ont-ils pas, au fond d’eux-mêmes, vu là que coutumes strictement formelles ? Inversement, combien n’ont-ils pas obtenu miséricorde grâce à ces traditions ? Et à présent, combien d’incroyants ou mal croyants par suivisme plus que par refus ne seront-ils pas finalement trouvés justes, de même (est-il permis de conjecturer) que tant de "païens" empêchés de recevoir la Bible et l’Évangile ?
Deux choses sont sûres cependant. L’une est que la santé du christianisme ne se mesure pas quantitativement aux chiffres arrêtés et interprétés par des spécialistes, mais qualitativement (si l’on peut dire) en fonction de la sainteté à laquelle il donne accès, et que seul peut pleinement apprécier Celui qui en est la source. La pratique sacramentelle n’en est que l’expression visible. Et elle en est inséparablement le moyen obligé. Car ces rites de sanctification accomplissent ce qu’ils représentent dans un cadre humain concret. Même si la personne est transformée à la racine de son être, c’est toujours relationnel et jamais purement individuel. Les signes sensibles sont administrés par des intermédiaires ; il y a des dimensions collectives, communautaires et même un impact dans la société, jusque dans les domaines de la morale et de l’esthétique.
Au temps de l’individualisme égalitariste
D’où la seconde certitude : l’insertion, voire l’implantation de la foi dans "le monde" sera, jusqu’à la fin des temps, aussi nécessaire qu’insuffisante, ou (plus exactement) irrépressible et inachevée. Ce ne sera jamais une progression linéaire (le Christ n’attend pas, pour revenir, que les églises soient pleines). Et, si l’on admet que Dieu n’est pas du genre à laisser tout tomber, ou simplement que la demande religieuse ne faiblit pas du tout en dehors de l’Occident, il n’y a pas à redouter que le christianisme disparaisse. Mais, parce qu’il va au-delà du mysticisme naturel, il a et aura toujours besoin de témoins et ceux-ci d’envoyés (apostoloi en grec) qui les "missionnent" en les intégrant à une Histoire relancée après les origines par la Révélation.
C’est pourquoi l’image publique de l’Église n’est pas indifférente : la foi reçue n’est vraiment vécue que si elle est partagée et transmise. Cela ne veut toutefois pas dire que la priorité devrait être de plaire en gobant les idées reçues du moment. Parmi celles-ci de nos jours, un individualisme égalitariste tend à faire de dominations oppressives la cause de tout dysfonctionnement ou simple mal-être, à voir dans la différenciation sexuée une construction socioculturelle arbitraire et dépassée, et à présumer pathologique la chasteté volontaire.
Une réflexion un peu sérieuse sur la structure ecclésiale et sa gestion ne peut pas se contenter de ressentis immédiats,
Dans un tel contexte, la hiérarchie de l’Église — autrement dit son apostolicité (le fait qu’elle ne se rassemble pas toute seule, mais autour des successeurs consacrés par les envoyés du Christ) — est contestée au profit d’une démocratisation. Le clergé masculin et célibataire y est déclaré un obstacle à la survie de la foi et à remplacer par des président(e)s de communauté élu(e)s et marié(e)s. La radicalité subversive de ces revendications excite la gourmandise des médias. Des sondages confirment que le grand public agnostique estime de telles réformes inéluctables. Pour convaincre les croyants, des théologien(ne)s en quête d’audace restauratrice de la pureté de la foi primitive publient des articles assurant que le patriarcat n’est pas du tout canonisé dans les Écritures, est étranger à un christianisme authentique et doit en être éliminé.
Ce qu’occultent les ressentis du moment
Les "conservateurs" sont apparemment moins doués pour répliquer. Ils rappellent d’abord que de même que les femmes du Premier et du Nouveau Testament, les plus grandes et influentes saintes des quinze ou vingt derniers siècles ont joué un rôle souvent décisif sans avoir aucunement besoin d’une cléricalisation ni même y penser ; ensuite, que la politisation des communautés chrétiennes ne donnerait pas le pouvoir au peuple (ou ce qu’il en reste), mais à des candidat(e)s plus ou moins activistes et pas toujours qualifiés ; enfin que tout cela aboutirait sans doute à dissoudre l’Église dans les sociétés occidentales qui se soupçonnent déjà elles-mêmes d’être en voie de décomposition.
Or une réflexion un peu sérieuse sur la structure ecclésiale et sa gestion ne peut pas se contenter de ressentis immédiats, conditionnés au moins en partie et consciemment ou non par "l’air du temps". Ce qui compte est de saisir ce qui distingue les sacrements des rites "ordinaires", l’Église de toute autre collectivité humaine, le féminin du masculin… Et c’est surtout s’ancrer dans ce principe clé que dans le christianisme, ce n’est pas nous qui nous élevons vers Dieu, mais Dieu qui, le premier, s’abaisse jusqu’à nous (1 Jn 4, 10 et 19) — ce qui fait que la puissance qui s’exerce là est l’inverse d’une domination et pourtant vient de bien plus haut.
Depuis des temps immémoriaux
Tout cela est peut-être trop paradoxal ou subtil pour résister à des slogans. Il n’est pas sûr cependant qu’à cet égard, notre époque soit la pire de toutes. Depuis des temps immémoriaux, la foi est rejetée non seulement en bloc de l’extérieur, mais encore corrodée de l’intérieur : on simplifie jusqu’à la caricature ce que Dieu révèle de lui-même, ou bien (provisoirement au besoin ou en catimini) on élague, contourne ou trafique ce qui y gêne, sans rien remettre d’autre en question. Ce fut autrefois la simonie (le commerce de biens spirituels et de dignités cléricales), les compromissions avec les autorités civiles, l’emprise fondée sur la peur (de l’enfer) au lieu de l’amour (de Dieu et du prochain), sans parler des si séduisantes hérésies…
Du fait de fixations conjoncturelles, mais aussi grâce au "flair de la masse des fidèles" (sensus fidei fidelium) et à quelques saint(e)s, chaque période se braque sur un dévoiement particulier et s’insurge pour y remédier. Ces jours-ci, c’est le tour des abus sexuels, qui ne sont pourtant pas nouveaux. On peut dire que ce n’est pas trop tôt, mais également que cette crise n’est pas plus grave que l’arianisme et les querelles théologisées du premier millénaire ou qu’au second les désunions de l’Église, de la rupture entre Latins et Grecs aux dissidences "modernes", en passant par le Grand Schisme où a fini de se déliter la chrétienté médiévale.