Le cardinal François-Xavier Bustillo, évêque d’Ajaccio, a assuré ce dimanche 17 novembre auprès de La Tribune la venue du pape François en Corse mi-décembre. "François est autonome, libre et fort peu influençable", a ainsi souligné le cardinal. "Il aime aussi le côté populaire, or en Corse on a cette habitude notamment de chanter en marchant dans la rue. Il y a des signes comme la symbolique du feu avec les bougies, les rites de l'eau, bref des gestes qui traduisent des traditions bien ancrées, certes "saintes"» mais, j'insiste, populaires." Le colloque, qui se déroule du 14 au 15 décembre, a été organisé à l'initiative du diocèse d'Ajaccio et de son évêque, le cardinal François Bustillo. Le prélat d'origine basque a convié une dizaine d'intervenants, évêques ou universitaires corses, mais aussi sardes, espagnols, siciliens, ou encore du sud de la France, à venir partager leur expérience des différentes expressions de religiosité populaire aussi bien sur le plan religieux que culturel, politique ou social. Invité discrètement par le cardinal Bustillo, le pape François a donc décidé d'apporter sa contribution personnelle à cette réflexion. Un choix qui peut surprendre, mais qui peut trouver une explication dans la volonté constante du pape de mettre en avant le Peuple de Dieu au sein d'une Église souvent tentée par une forme d'élitisme – que le Pape désigne comme le "cléricalisme".
Dans sa dernière encyclique Dilexit nos, consacrée à la piété populaire du Sacré-Cœur de Jésus, le pontife critique d'ailleurs vivement une attitude qui place "Dieu tellement haut, tellement séparé, tellement distant" et en vient dès lors à considérer "les expressions sensibles de la piété populaire comme dangereuses et nécessitant un contrôle ecclésiastique". Et contre cette dérive, la Corse peut opposer la vitalité de sa foi populaire.
Les confréries et la polyphonie
La culture religieuse populaire corse se caractérise par sa dimension principalement villageoise. Elle s'est développée dans la confrérie, association de laïcs au service de l'Église et spécifiquement rattachée à une terre qui lui donne son identité. Les Corses ont aussi créé une polyphonie sacrée singulière, qui trouve son origine à la fois dans l'influence des ordres mendiants sur l'évangélisation de l'île – dominicains et franciscains – et dans la culture pastorale des bergers corses.
Autour des confréries – dont les premières voient le jour au XVe siècle – s'est ensuite développée une riche culture religieuse avec ses dévotions et ses fêtes, en coopération avec le clergé local. Mais ces réalités vont cependant se désagréger au XXe siècle au point de presque disparaître.
Il s'agit d'un effet d'une transformation démographique de l'île, avec le dépeuplement des villages et la concentration de la population dans les villes, mais aussi d'une dévalorisation de la langue et de la culture corse. Un processus auquel l'Église a participé, note l'anthropologue italienne Alessandra Broccolini, qui estime qu'il a été "accéléré par le remplacement du latin par la langue vernaculaire à la suite du Concile Vatican II", processus qui a imposé des chants modernes en français.
Une religion attachée à son territoire
Cependant, dès les années 1980, ce patrimoine religieux constitutif de la culture corse va être réinvesti, dans une période de crise où émergent les revendications nationalistes et autonomistes – un courant appelé "riaquistu" - réappropriation. Des chercheurs engagés déchiffrent alors des manuscrits de polyphonies du XVe siècle, retrouvent les chartes des anciennes confréries, et relancent ces pratiques avec un succès qui a pris de l'ampleur, surtout depuis la fin des luttes violentes qui ont marqué les années 1990 et 2000.
Jean-Charles Adami, confrère qui interviendra lors du colloque, estime que les confréries sont devenues les moteurs d'une "forme d'inculturation" de la foi en Corse qui consiste à prendre en compte les spécificités du lieu et du patrimoine religieux et culturel existant. Cette inculturation est souvent promue par le pontife depuis le début de son pontificat, mais très rarement concernant l'Église de l’Occident sécularisé, à qui il reproche plus volontiers une forme de "rigidité" dans son rapport aux traditions.
Jean-Charles Adami note aussi combien la dynamique de "réappropriation de la ruralité" portée par les confréries rejoint le discours du pape sur les périphéries, mais est aussi en osmose avec le magistère écologique et social de Laudato si'. Autant de thématiques que le pape François pourrait développer lors de sa venue à Ajaccio.