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Depuis que notre modernité est dominée par la technique, la science et par l’état d’esprit que cette techno-science a instillé dans les mentalités, le Réel, le dur, irréfutable et incontournable Réel, s’est concentré dans la réalité mesurable. Le Réel se confond désormais avec l’expérience et les lois scientifiques qui nous permettent de l’atteindre, le prévoir et de le quantifier. Par contrecoup, ce que l’homme ne peut domestiquer par la raison calculatrice n’a plus droit de cité dans la dimension de la réalité. La conséquence est que tout ce qui relève du monde invisible est frappé d’irréalité, considéré comme moins réel que ce que nous pouvoir toucher, palper, prévoir et domestiquer. Et par le monde invisible, il faut entendre non seulement les anges, mais aussi l’au-delà et… Dieu Lui-même ! Dans ce contexte de scepticisme religieux, comment se situe la foi chrétienne ?
L’au-delà est plus consistant que le monde d’ici-bas
Les disciples du Christ ne vivent pas dans un monde différent que celui dans lequel évoluent leurs semblables. Cependant, ils ne partagent pas la conviction commune selon laquelle le monde matériel est le seul réel. À ce niveau déjà, leur avis diverge de celui de leurs frères en humanité. En effet, pour un chrétien, ce que l’œil peut voir, ce que l’expérience scientifique est capable de prouver et de prévoir, n’épuise pas l’intégralité du champ de la réalité. Car au-delà du monde d’ici-bas, il en existe un autre, celui de l’au-delà, un monde inaccessible à nos yeux de chair et que seule la foi peut appréhender — un monde peuplé de saints, de bienheureux, d’anges, un au-delà où existent également les réalités du purgatoire et de l’enfer. Et enfin, autre réalité invisible, et non la moindre, celle de Dieu.
Notre cité véritable est dans les cieux, ce qui ne veut pas dire qu’elle est moins réelle que notre patrie d’ici-bas.
Une fois admise l’existence de cette réalité invisible, la question se pose de savoir si celle-ci est plus réelle que le monde objectif, matériel, que nous pouvons voir, toucher, calculer, etc. À première vue, un chrétien pourrait concéder à la limite que ces deux ordres de réalité sont aussi réels l’un que l’autre, même si leurs étendues et leur mode d’être sont différents. Mais est-ce vraiment ce qu’enseigne la foi ? Cette dernière ne nous révèle-t-elle pas plutôt que le monde divin est celui sur lequel nous pouvons nous appuyer au milieu des tribulations de l’existence, et donc qu’il est plus fiable, plus consistant que le monde qui nous entoure ? Et si ce monde divin, avec ses anges, ses saints et Dieu Lui-même, est plus solide, plus fiable que le monde d’ici-bas, n’est-ce pas parce qu’il est finalement plus réel que le monde du devenir, en perpétuel changement, sans assises stables, dans lequel nous évoluons présentement dans notre condition mortelle ? En nommant à d’innombrables reprises Dieu comme "le Rocher", les psaumes ne nous enseignent-ils pas qu’Il est bien plus consistant pour le croyant — Lui qui est l’invisible par nature, l’Invisible en personne — que tout le monde extérieur qui l’entoure ?
L’exemple du Christ monté aux cieux
À cet égard, l’existence du Christ est exemplaire. Plus personne ne remet en cause le fait que Jésus ait existé. Cependant, la foi nous révèle à son sujet que le jour de l’Ascension, il est monté définitivement aux cieux, à la droite du Père, en se dérobant aux sens des hommes. En est-il devenu moins réel pour autant ? Certes, non ! Au contraire, pour les croyants, assis sur le trône divin, le Christ est désormais plus puissant qu’il ne le fut durant les jours de sa chair lorsqu’il sillonnait les routes de Palestine. Aussi, le Christ invisible est-il bien plus agissant, efficace et donc bien plus réel que le même Christ que Pierre, Jacques, Jean, l’hémorroïsse, Marthe, Marie et Lazare pouvaient toucher et voir il y a plus de deux mille ans. Avec le mode d’existence qui est le sien maintenant, Jésus démontre que le monde invisible est plus réel que celui qui est le nôtre actuellement sur terre.
L’invisible ne fait pas de concurrence déloyale au visible
Voilà pourquoi les chrétiens ne doivent pas se laisser impressionner par la primauté que le monde, avec ses convoitises et sa course au bonheur matériel, accorde au monde objectif, mesurable, manipulable, achetable et vendable. Notre cité véritable est dans les cieux, ce qui ne veut pas dire qu’elle est moins réelle que notre patrie d’ici-bas. Cependant, ce primat du monde invisible ne doit pas nous conduire à mépriser les combats pour la justice ici et maintenant, à la place que nous occupons. Notre frère qui souffre à côté de nous, notre frère en chair et en os, n’est pas devenu moins réel depuis que le Christ est monté aux cieux ! "Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas", dit saint Jean dans sa première lettre (1Jn 4, 20). En se faisons homme, le Verbe divin a augmenté dans des proportions inouïes la densité en réalité du monde d’ici-bas. La consistance de l’invisible ne disqualifie pas celle du visible. Heureusement, sinon nous ne serions que des ectoplasmes et la vie ici-bas une illusion sans plus d’épaisseur qu’un songe passager !