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Les hommes sont très fiers de leurs productions et de leurs créations artistiques tout au long des âges. Pourtant, le revers de l’histoire de l’art révèle un tas de ruines en comparaison duquel la tour de Babel fait figure de pâté de sable. Notre époque, toujours prompte à donner des leçons au passé, est la digne héritière du vandalisme commun et universel, mais cette fois en l’enveloppant de nécessité pour demeurer moderne, pour épouser son temps. Le plus affligeant est lorsque l’Église, par son clergé, épouse lâchement cette cause toujours perdue. Léon Bloy notait dans son Journal : "La nuit des embellissements modernes est tombée sur toutes les choses lumineuses. […] Tout ce que j'ai vu si grand et si fier, quand j'avais quinze ans, est devenu cette morne élégance bourgeoise qui procure le désespoir."
La destruction sur un piédestal
Le constat du mendiant ingrat est toujours d’actualité car le désir d’être en conformité avec son temps prime sur l’amour du Beau et le respect des héritages reçus. Comme le prophète Jérémie, il y a de quoi pleurer sur les ruines, d’autant plus lorsque les vandales arguent de leur bon droit et de leur ouverture au monde pour contrer ceux qui s’opposent à leurs choix et décisions arbitraires. La destruction est d’ailleurs érigée sur le piédestal de ce qui fut, en d’autres temps, l’art. Cet exemple récent vu sur Instagram parle de lui-même : "Quand Michelangelo Pistoletto détruit son Metrocubo d’Infinito sur la scène de l’audito... Sculpture neutre de six miroirs ficelés et tournés vers l’intérieur, dont on ne peut qu’imaginer les infinis reflets, Metrocubo d’Infinito concentre les préoccupations de Michelangelo Pistoletto sur les potentialités physiques du miroir et ses allusions mystiques."
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Ce communiqué du musée d’art contemporain de François Pinault, ancienne Bourse du Commerce, est la légende des images où l’artiste détruit son "œuvre" par un coup de masse, créant ainsi une autre "œuvre" grâce à son vandalisme qui, certes, dans ce cas, ne prête guère à conséquence, mais qu’une telle idée puisse germer dans un esprit est révélateur du tournis qui emporte notre globe. Notre mémoire est courte et elle enregistre surtout ce qui existe encore en oubliant tout ce qui a été anéanti par notre faute.
L’affront fait à Notre-Dame
Lorsque, de plus, nous persévérons dans l’erreur et que nous dilapidons ce qui a été transmis soigneusement par nos aïeux, nous commettons une double faute, impardonnable. Cette négligence et ce manque d’attachement ne sont pas anecdotiques car ils sont le signe d’un désamour pour ce qui est, pour le vrai, pour le beau. Ce n’est pas sans effet sur tout le reste de la marche du monde. Les vandales de tous les temps savaient pertinemment que leurs destructions allaient plus loin que la simple éradication de monuments et d’œuvres d’art : elles affectent tout l’être humain car elles éradiquent ses racines, sa nature. Philippe Muray écrivait justement : "Les êtres humains n’aiment pas qu’on les mette en face du récit de leurs exactions : ils ne tiennent pas à savoir que c’est là, toujours, qu’ils puisent leur raison d’être et leur légitimité. Ils ne veulent pas regarder ce à quoi, pourtant, ils s’identifient." (Exorcismes spirituels I).
Dernièrement, et à juste titre, bien des voix s’élevèrent contre l’affront fait à Notre-Dame de Paris, tout d’abord lorsque fut lancée l’idée d’une flèche contemporaine —heureusement rapidement enterrée — puis lorsque, contre toutes les réglementations très strictes en ce domaine en vigueur, fut imposé le remplacement de vitraux en grisaille de Viollet-le-Duc par un "geste contemporain". Les signatures politiques ou religieuses derrière une telle décision devraient relire avec profit ceux qui, après la tourmente révolutionnaire, essayèrent de sauver ce qui pouvait l’être de notre patrimoine. Montalembert, dans une lettre à Victor Hugo en préface à son Du vandalisme et du catholicisme dans l’Art de 1839, rappelle quelques vérités de bon sens :
"Les longs souvenirs font les grands peuples. La mémoire du passé ne devient importune que lorsque la conscience du présent est honteuse. Ce sera dans nos annales une bien triste page, que ce divorce prononcé contre tout ce que nos pères nous ont laissé pour nous rappeler leurs mœurs, leurs affections, leurs croyances. […] J’ignore quelle peine la postérité infligera à ce mépris stupide que nous tirons de notre nullité moderne, pour le lancer à la figure des chefs-d’œuvre de nos pères ; mais cette peine sera grave et dure. Nous la mériterons, non seulement par nos œuvres de destruction, mais encore par les vils usages auxquels nous consacrons ce que nous daignons laisser debout."
En résonnance avec le monde
Notre vandalisme contemporain n’est pas seulement la destruction en elle-même. Il est la destruction illégitime inspirée par le fanatisme ou par l’idéologie, héritier du vandalisme protestant du XVIe siècle, puis du vandalisme révolutionnaire du XVIIIe siècle. Depuis, nous sommes, en France, en proie à une révolution culturelle sans fin, au nom de modernité, du progrès, ceci conduisant à une désacralisation à laquelle participa activement le clergé dans les années 1970 sous prétexte de réforme et de simplicité. L’historien Louis Réau, pourtant lui-même protestant, fut le premier à dresser le terrifiant catalogue du vandalisme à la française. Le "vandalisme embellisseur des chanoines" du siècle des Lumières, dont il parle avec tristesse et ironie dans son Histoire du vandalisme : les monuments détruits de l’art français, n’était pas différent de celui du clergé actuel qui prône des pratiques identiques sous couvert d’idées semblables : être en résonnance avec le monde et avec la mode.
Le vandalisme ecclésiastique, qu’il ait pour origine un manque de culture ou un mépris affiché pour le passé, ne peut s’envelopper dans de faux bons sentiments en prétendant œuvrer ainsi à la présence de l’Église dans la société sécularisée. Cette dernière n’exprimera aucune reconnaissance face à une telle faiblesse et à un tel asservissement. Les "coûteux travaux d’appauvrissement", pour reprendre l’indulgente expression de Max Querrien qui fut directeur de l’architecture au ministère de la Culture durant les terribles années 1960, continuent de faire disparaître des trésors qui appartiennent à tous puisque financés généreusement par nos ancêtres qui avaient la foi.
Le cri d’alarme du père Louis Bouyer
Lorsque le père Louis Bouyer lança un cri d’alarme, pourtant très modéré en 1964, il était loin d’imaginer que le mouvement de rejet du passé, une fois lancé, deviendrait fou, hors de contrôle, et qu’il se poursuivrait durant les décennies à venir sous des formes diverses, parfois différentes mais tout aussi délétères : "Une petite fraction intolérante et sans scrupule de prêtres incultes mais arrogants, méprisant pour toute une tradition qu’ils ignorent, […] intéressés seulement par les modes les plus superficielles [liquident] précipitamment tous les trésors de l’art français" (dans France catholique). Lorsque le vandalisme religieux s’accouple avec le vandalisme d’État, le bilan est catastrophique. Il ne s’arrête pas à la pierre, au bois et au métal, il affecte aussi le langage attaqué comme symbole de tous les anciens régimes à haïr.
Quand un pays se précipite tête en avant contre le mur du rejet de ses racines, il serait heureux que l’Église fût plus sage, comme elle sut l’être pendant des siècles, plutôt que de hurler avec les loups et parfois même d’initier la destruction. Le vandalisme, aussi sophistiqué soit-il, est du négationnisme. La soif inextinguible de changement n’est jamais un signe de force et de vitalité mais simplement une fuite en avant pour ne pas être confrontés au vide de nos âmes.