Comprendre le bien commun
Peut-on y lire la justification d’un alourdissement de la fiscalité pesant sur les plus riches ? Il faut affiner notre compréhension de ce qu’on nomme bien commun. Saint Thomas d’Aquin explique que toute la création, y compris l’humanité, est orientée vers le bien premier qui est Dieu mais que le bien commun a aussi une dimension matérielle et sociale. Lutter contre la disette et les conflits, favoriser l’efficacité économique des citoyens et de leurs gouvernements font partie des moyens de sa réalisation.
Une fiscalité confiscatoire des revenus et patrimoines des plus aisés, telle qu’elle est réclamée par les députés du bloc de gauche, est-elle favorable ou non à une saine efficacité économique ? C’est une question qu’on peut se poser, comme catholique soucieux du bien commun et prenant au sérieux la doctrine sociale de l’Eglise. À partir de cette formulation, l’économiste pose le dilemme fondamental sous-jacent à nos débats récurrents : l’accumulation des profits entre les mains d’entrepreneurs à succès est-elle une bonne chose pour la prospérité générale ou est-elle forcément le symptôme d’une spoliation des plus fragiles ? Dans une tribune récente, Jean-Yves Naudet montre comment les trois lauréats du dernier prix Nobel d’économie répondent à cette question, en insistant sur l’importance d’institutions favorisant les droits de propriété, la liberté d’entreprendre et l’innovation. Mais les députés qui débattent du budget 2025 de la France ne semblent pas les avoir lus, et en restent souvent à des schémas caricaturaux.
Réfuter deux visions caricaturales de l’économie
Pour ceux qui voient l’économie comme un jeu à somme nulle, où les gains des uns proviennent des pertes des autres, une accumulation de richesses a forcément pour contrepartie un appauvrissement du reste de la population. À l’inverse, d’autres évoquent un phénomène de ruissellement, l’enrichissement des privilégiés entraînant automatiquement une augmentation du volume des échanges et donc la prospérité générale. Ces deux postures sont caricaturales, ignorant soit la réalité d’une création nette de richesse grâce à l’investissement productif judicieux des plus aisés, soit la nécessité de revendications sociales ou d’interventions politiques pour renforcer la position économique des plus faibles.
Alors que le déficit de l’État dépasse la moitié de ses recettes fiscales, il faut se rendre à l’évidence : nous allons prochainement être tous contraints à des mesures d’économie douloureuses.
Ainsi, il n’est pas choquant qu’un gouvernement assure par l’impôt certains transferts de revenus entre ceux qui se trouvent — par leurs talents, par héritage ou par chance — dans une position économique favorisée et ceux qui n’ont rien. Éviter la misère des plus fragiles contribue clairement au bien commun. De même, une taxe foncière qui prélève une fraction de la valeur d’un patrimoine dont la communauté accorde la propriété privée à tel ou tel est légitime, car cette recette fiscale finance des services publics qui profitent à tous. En revanche, un impôt manifestement punitif ou spoliateur, dont la recette est proche de l’intégralité des revenus du contribuable — même très aisé — ne contribue pas au bien commun. Victimes de ces prélèvements excessifs, les plus riches savent trouver des parades, dont l’exil fiscal. Au point de vue humain, l’expression d’une haine à l’égard de ceux qui réussissent n’a rien d’évangélique. C’est un poison qui délite la société.
Des mesures d’économie douloureuses
Malheureusement, la situation très dégradée des finances publiques nécessite que le pays accepte les mesures fortes que le gouvernement sera dans l’obligation de décider. Croire que cet effort financier pourrait être intégralement supporté par 0,2% des citoyens les plus aisés, est une tentative désespérée de fuir une responsabilité collective. Alors que le déficit de l’État dépasse la moitié de ses recettes fiscales, il faut se rendre à l’évidence : nous allons prochainement être tous contraints à des mesures d’économie douloureuses.
Le premier effort collectif qu’il nous faudra accepter n’est pas un mystère : l’évolution défavorable de notre démographie impose des décisions difficiles pour équilibrer nos régimes de retraite. Repousser l’âge de départ à la retraite est un impératif, mais qui atteindra vite ses limites. Nous serons ensuite contraints de renoncer au maintien du niveau de vie des retraités, en retardant et diminuant progressivement l’indexation des retraites sur l’inflation. Autre option peu réjouissante, il est sans doute nécessaire de fermer nombre d’instances publiques dont la contribution au bien commun est discutable. Le Conseil économique social et environnemental (CESE) est régulièrement évoqué, parmi des dizaines d’organismes créés au fil des décennies dont on ne comprend pas bien l’apport à la société. Dans une démarche de subsidiarité, fermer des institutions incertaines pour laisser plus de place aux initiatives privées peut-être une opportunité.
Une fiscalité au service de la paix et de la convivialité
Comme Jean-Yves Naudet qui conclut sa tribune en rappelant la nécessité d’une éthique, on peut méditer le Compendium de la doctrine sociale de l’Église (au n° 203) : "À la valeur de la justice, la doctrine sociale associe en effet celle de la solidarité, comme voie privilégiée de la paix. […] L'objectif de la paix sera certainement atteint grâce à la mise en œuvre de la justice sociale et internationale, mais aussi grâce à la pratique des vertus qui favorisent la convivialité et qui nous apprennent à vivre unis afin de construire dans l'unité, en donnant et en recevant, une société nouvelle et un monde meilleur." On peut souhaiter qu’à l’image de Jésus, les citoyens portent un regard amical sur les riches, afin que ceux-ci mettent spontanément leur intelligence et leurs ressources au service du bien commun. Ceci invite à une conversion de tous les cœurs, pour retrouver le sens de la communauté.