Le document final du récent synode romain, que le pape a validé en déclarant qu’il n’en tirerait pas une exhortation apostolique de son cru, dit que la question de l’accès de femmes au ministère diaconal "reste ouverte" et que "le discernement doit se poursuivre". Ce travail a été confié en 2016 à une commission d’étude. Or celle-ci a interrompu ses travaux en 2019, n’ayant pu parvenir à s’accorder sur la place des diaconesses dans l’Église primitive. Mais le sujet est bientôt ressorti à l’occasion du synode sur l’Amazonie, et une nouvelle commission a été créée en 2020. C’est à elle, peut-on supposer, qu’il revient de répondre au vœu des pères et mères synodaux. Il est sans doute aussi vain qu’irrespectueux de s’en mêler. Mais la synodalité, justement, ne requiert-elle pas chacun participe sinon aux décisions, au moins à la prise de conscience des difficultés et des enjeux ?
Entre conformisme et fidélité
Il apparaît d’abord que la demande d’instauration d’un diaconat féminin s’inscrit dans le cadre profane d’une exigence d’égalité entre les sexes au sein des sociétés occidentales actuelles et, par retombée seulement, à l’intérieur de l’Église. Il convient ensuite de relever que, dans ce que l’on peut présumer être l’optique des féministes, quel que soit leur "genre", ce n’est probablement qu’une étape vers l’ordination à la prêtrise de femmes — dont on ne précise pas encore si elles pourraient, voire devraient, être mariées et même accéder à l’épiscopat —, avec en chemin, pour déblayer la voie, l’abolition de la règle du célibat presbytéral. Mais en attendant, s’il ne s’agit pas de se conformer docilement à une évolution des mœurs ambiantes et s’il importe avant tout de rester fidèles à ce qui a été historiquement établi par le Christ et continuellement vécu depuis dans l’Église avec l’assistance de l’Esprit Saint, il faut bien s’interroger d’une part sur ce qu’est exactement le diaconat, et d’autre part sur la pertinence, en ce qui le concerne, de la distinction entre homme et femme.
Simple consécration ou sacrement ?
Contrairement aux ministères pourtant institués de lecteur, acolyte ou catéchiste, conférant déjà un "caractère" propre et durable, ouverts aux femmes depuis 2021, le diaconat intègre au clergé. C’est "le premier degré de la hiérarchie". Depuis Lumen gentium (n. 29) de Vatican II, il est accessible à des hommes mariés et ne se destinant pas au sacerdoce presbytéral. Mais il ne donne pas toutes les capacités, en particulier célébrer l’eucharistie et remettre les péchés, que reçoivent les prêtres, lesquels ne peuvent eux-mêmes pas accomplir ce qui reste réservé à l’évêque en tant que successeur des apôtres, notamment administrer le sacrement de l’ordre.
La démarcation entre laïcs et clercs passe-t-elle entre fidèles et diacres, ou entre diacres et prêtres ? Ce n’est pas si évident. Faudrait-il deux types de diaconat : l’un clérical, l’autre pas ? Ou trouver une autre appellation pour la version laïque ?
Il semble, mais c’est un point controversé parmi les historiens, que la consécration de diacres n’a pas toujours été un sacrement, c'est-à-dire un rite par lequel Dieu opère une transformation intérieure. Le diaconat n’a été que peu à peu tenu pour une "amorce" du presbytérat et une "cléricalisation". Ne pourrait-il donc pas, à l’instar du lectorat et de l’acolytat qui y préparent sans y conduire nécessairement, se suffire à lui-même, avec une simple bénédiction (comme en Ac 6, 6) ? Ce serait non pas forcément une association, un peu plus limitée que pour les prêtres, mais une aide externe et en pratique fort utile à la mission spécifiquement apostolique.
Le diacre entre prêtres et laïcs
Cela permettrait de consacrer, sans ordination sacramentelle, des femmes, en référence aux lettres de saint Paul, où en sont mentionnées bon nombre qui rendent des services (diakoniai en grec) décisifs sans pour autant être qualifiées de "diaconesses". De fait, les diacres "permanents" d’aujourd’hui, qui n’ont pas été ordonnés "en vue du sacerdoce", font "ordinairement", c’est ce qui justifie déjà qu’ils aient un statut public, ce que tout croyant (homme ou femme) peut faire par exception si les circonstances l’imposent : baptiser, bénir les mariages, animer des obsèques, catéchiser, expliquer et commenter la Parole de Dieu, assister et guider spirituellement — sans parler de l’aide à apporter à ceux qui sont dans le besoin, comme les Sept de la toute première Église (Ac 6, 1-7) et comme tout chrétien le doit.
En un mot, la démarcation entre laïcs et clercs passe-t-elle entre fidèles et diacres, ou entre diacres et prêtres ? Ce n’est pas si évident. Faudrait-il deux types de diaconat : l’un clérical, l’autre pas ? Ou trouver une autre appellation pour la version laïque ? Et si, comme on le voit souvent, l’épouse du diacre le seconde au quotidien de façon non moins indispensable que par son consentement préalable, ne pourrait-on pas estimer qu’elle exerce conjointement une diaconie à reconnaître, voire consacrer formellement, et que le veuvage ne lui enlèverait pas ?
Au sein d’un clergé masculin…
Il est sûr cependant que la pratique et la symbolique du diaconat, "permanent" autant qu’ "en vue du sacerdoce", le placent assez nettement dans la "part" (kleros en grec) de l’humanité : le petit nombre de ceux que Dieu prend comme ses serviteurs. Ce n’est pas ici le leadership qui compte, ni la participation au culte dans le chœur avec une étole, jusqu’à faire le sermon même si un prêtre est présent. C’est bien plutôt l’engagement d’obéir à l’évêque, suivre la liturgie des heures et rester célibataire, si l’on n’est pas déjà marié : tout cela met "à part", sans retirer du monde et au service immédiat de tous. Ce n’est donc pas assimilable à la vie monastique ou religieuse. Celle-ci ne requiert pas d’ordination et est accessible aux femmes (séparément), mais peut être cloîtrée et est rarement liée à une seule Église locale (diocèse).
Si le diaconat, bien que non sacerdotal, intègre au clergé, la question devient de savoir pourquoi seuls des hommes peuvent y être admis. Le soupçon est que le Christ n’a pas pris de femmes parmi ses apôtres en raison des mentalités dans son milieu. Une réponse est que ce choix est inhérent à l’historicité essentielle à la Révélation, qui fait que le Mémorial de la Cène ne peut pas être célébré avec des galettes de riz et du saké, ni des cacahuètes et de la bière, de même qu’on ne peut remplacer le Premier Testament par la sagesse naturelle de ses ancêtres.
Paternité de Dieu et féminité de l’humanité
Mais cette riposte laisse sur sa faim. Mieux vaut sans doute s’interroger sur la dualité entre masculin et féminin. Le risque est de les concevoir sur la base des sexes dans la nature, où les femelles doivent résister aux mâles prédateurs — dont on fait de Dieu le prototype en tant que "Seigneur et Maître". La Bible caractérise plutôt la masculinité à partir de la paternité désintéressée du Créateur, face auquel l’humanité entière (mâles compris) apparaît féminine, comme lieu maternel qui accueille et nourrit la vie que le Père lui communique. L’homme (Adam) n’est père que par mimétisme et délégation ("procréateur") et a besoin d’une égale différente, la femme (Ève), pour qu’ils soient ensemble enfants de Dieu (Gn 2, 18-25).
La création a été détraquée par la Chute : l’autonomie prise par Adam et Ève, qui fait que leurs désirs les opposent désormais (Gn 3, 16). Si bien que seuls des hommes mis "à part" sacramentellement peuvent, en se laissant unir au Fils incarné, crucifié et ressuscité, recouvrer leur ressemblance obscurcie avec le Père, afin de transmettre sa Vie. Les femmes, en revanche, n’ont pas perdu les capacités d’accueil de cette Vie qui les constituent comme telles. C’est pourquoi, si elles doivent bien, elles aussi, s’ouvrir aux dons de Dieu et coopérer à son dessein, il n’y a pas lieu que certaines en reçoivent le pouvoir par une ordination sacramentelle.
Pratique :