L’opposition a de beaux jours devant elle, mais à quoi ressemblera-t-elle demain ? Il existe face au gouvernement Barnier une nouvelle opposition de la gauche, « des gauches » plutôt, comme on disait sous la IIIe République. Lionel Jospin avait inventé en 1997 la gauche plurielle ; ses épigones nous offrent en 2024 le spectacle de la gauche éclatée. Le Nouveau Front populaire n’a jamais eu d’autre ambition que d’être une alliance électorale. Les élections passées, l’attelage est très logiquement démonté : chaque cheval tire sa propre carriole. Le cheval Jean-Luc Mélenchon ne mangera jamais l’avoine du cheval Raphaël Glucksmann.
De son côté, le président de la République a tiré les conséquences d’une élection législative qu’il a provoquée à contretemps selon les politiciens unanimes — comme s’il existait un mauvais moment pour demander son avis au peuple — mais surtout d’une élection qui, n’ayant pas fait de vainqueur, n’a pas fait non plus de vaincu. D’où cette rancœur : les gauches estiment avoir gagné parce qu’elles n’ont pas davantage perdu que les autres. Si en nommant Michel Barnier Premier ministre, le Président a déçu une attente, c’est bien celle de ces gauches qui croyaient pouvoir se servir de lui et qui découvrent qu’il s’est joué d’elles. Au Rassemblement national, nulle déception au contraire : on y soupire d’aise, car ce parti n’était pas prêt à gouverner. L’électorat populaire devra attendre.
L’opinion contre les oppositions
Tel est le paradoxe du gouvernement Barnier : sa faiblesse fera sa force. Ses oppositions seront ses béquilles. Les politiciens de métier, ceux des gauches et ceux du Rassemblement national, lui assureront la durée, car pour des raisons différentes ces oppositions aspirent à rester des oppositions. Quand à agir, ce gouvernement le pourra. Il agira sous la pression des faits, avec l’aide de l’opinion et par la force des institutions. Il se devra de dédiaboliser l’article 49-3 de la Constitution : ce dispositif juridique responsable, nullement anti-démocratique, a été inventé pour franchir les obstacles qui l’attendent. Les ordonnances de l’article 38 ne sont pas non plus une ruse du diable.
Pour sa part, Emmanuel Macron fera bien de se souvenir qu’il dispose de l’arme du référendum. Le pays ne sortira pas de la confusion née des élections législatives en cessant de voter, mais bien en votant à nouveau : cela s’appelle la démocratie. Tous les outils à la disposition de l’exécutif seront dénoncés par l’opposition des politiciens professionnels, mais, s’ils sont mis en œuvre, ils seront validés par l’opinion qui réclame des actes.
Les partis ne prétendent plus rassembler
Car la crise de la politique française tient au fait qu’il n’existe plus aucun parti capable de s’adresser à la nation. La France insoumise s’adresse aux banlieues et aux musulmans, le Parti socialiste aux bobos des centres-villes, les écologistes aux intellectuels, les Républicains aux orléanistes et aux catholiques des villes moyennes, la droite de la droite au monde rural et aux ouvriers : chaque segment du corps électoral est traité comme s’il était seul au monde, comme si la nation n’existait plus. Les partis ne prétendent plus rassembler : ils vivent de la division du pays qu’ils contribuent à aggraver.
L’électorat populaire, abandonné, a depuis longtemps déserté la gauche et le parti gaulliste pour rejoindre une « extrême droite » qui n’est en réalité ni de droite, ni extrême, mais engluée dans les impasses de la démagogie. Le gouvernement Barnier réussira s’il parvient à parler à la nation tout entière. Ce faisant, il pourra espérer rallier les classes populaires aux partis de gouvernement qu’elles ont désertés et restaurer les conditions d’un fonctionnement normal de notre république.