Plusieurs fois par an, saint Janvier fait la une des journaux, et pas seulement en Italie, en raison de l’étrange liquéfaction de son sang. Le phénomène, objet des ricanements des incrédules, est resté à ce jour, quoiqu’on en dise, sans explication scientifique plausible. Pourtant, ces ostensions ne sont pas les vraies raisons de sa popularité ni de la puissante protection que l’évêque martyr étend sur Naples.
D’un point de vue historique, force est d’admettre que nous savons peu de choses au sujet de Januarius. Les historiens le pensent né vers 270, sans doute dans la région de Bénévent, d’une famille patricienne dont le patronyme renvoie au dieu Janus, divinité des commencements et des passages, son nom ayant la même racine que janua, "portail", représenté avec une double face, l’une regardant l’avenir, l’autre le passé, qui inaugure ainsi l’année nouvelle. Quoiqu’il en soit de ce lointain patronage, en cette fin du IIIe siècle, il semble que les Januarii soient convertis depuis plusieurs génération déjà.
Prêtre par humilité
Janvier est encore très jeune quand il est ordonné prêtre, en un temps où, en principe, l’on ne postule pas soi-même au sacerdoce, par humilité, mais où c’est la communauté qui choisit dans ses rangs ses futurs prêtres, élisant les plus pieux et les plus vertueux, leur imposant parfois le sacrement de l’Ordre à leur corps défendant. Il faut croire que Janvier demeure exemplaire puisque, en 302, il est élu évêque de Bénévent. Il a tout juste atteint la trentaine.
Le moment, hélas, est mal choisi… Après une période de paix relative, l’Église est sur le point de vivre sa pire persécution. Très vite, alors qu’il est absent de sa cité épiscopale, Janvier apprend la publication, en février 303, de l’édit de persécution générale signé par Dioclétien, et l’arrestation de ses diacres. Suivant les conseils évangéliques, sachant que son incarcération effraierait son troupeau et conduirait peut-être les faibles à l’abjuration, il se cache dans l’une des propriétés familiales. Il en sort durant l’été 305, comptant sur une accalmie des poursuites ; il se trompe. Il est arrêté à Pouzzoles, et, puisqu’il s’avoue chrétien et refuse d’apostasier, aussitôt décapité. Nous sommes le 19 septembre.
Le sang du martyr
Conformément à l’usage, le sang du martyr est recueilli dans des fioles, à l’origine du miracle napolitain, puis sa dépouille est ramenée dans son diocèse et inhumée à Capodimonte où elle demeurera, entourée d’hommages et de vénération, en dépit des Lombards et autres envahisseurs, jusqu’en 1492. Le vice-roi espagnol de Naples procède alors à la translation dans sa ville, histoire de distraire une population fervente qui supporte mal le joug de l’Espagne. Les fioles de sang, dont les premières liquéfactions sont rapportées à la fin du XIVe siècle — ce qui ne signifie pas qu’elles ne soient pas plus anciennes — l’accompagnent et le miracle se reproduit mais, dans un premier temps, les Napolitains ne s’y intéressent guère.
En fait, l’une des explications de l’attachement local aux intercesseurs célestes, c’est que Naples, au sens propre du terme, danse sur un volcan, sous la perpétuelle menace d’une éruption du Vésuve, et a l’habitude de réclamer l’aide des saints afin de se préserver de la catastrophe. Une autre menace, pire encore car plus fréquente, pèse sur Naples. Comme tous les ports de Méditerranée, la ville, du fait de ses constants échanges avec l’Orient, est régulièrement victime d’épidémies de peste devenue endémique contre lesquelles la médecine est impuissante. Aussi va-t-on très vite mettre le crédit du nouveau venu à l’épreuve : en 1497, d’abord, puis en 1527, lors de deux vagues violentes de la maladie. Il faut supposer que le premier essai a été concluant puisque, en 1529, les Napolitains, reconnaissants d’avance, promettent à saint Janvier de lui élever un sanctuaire pour lui tout seul s’il met fin au mal. Ce qui a lieu.
Fidèle à sa promesse, Naples passe alors contrat avec le saint en bonne et due forme devant notaire, Maître de Bossis, s’engageant à lui bâtir une chapelle splendide pour l’énorme somme de 11.000 ducats d’argent et mille d’or et à la faire orner par les meilleurs artistes, pourvu qu’ils soient eux-mêmes napolitains car, pour être valide, le vœu doit être accompli uniquement grâce à la peine et l’argent de la cité. Il en ira ainsi et Naples s’y conformera au point de refuser les 50.000 ducats qu’offre l’épouse du vice-roi, et d’expulser sous menaces de mort de très grands artistes, dont le seul tort est de n’être pas du pays…
Une coulée de lave
Remplissant sa part du contrat, Janvier arrête encore la peste en 1631, 1698, 1767 et 1779. En revanche, il n’intervient pas lors de l’épidémie de 1656, la pire de toutes, qui emporte les deux tiers de la population. Certains prétendront qu’il a voulu ainsi montrer aux Napolitains son mécontentement lors de leur récente révolte contre les Espagnols. Il ne semble pas que Naples lui en ait voulu. Il est vrai que, dans le même temps, Janvier intervient à plusieurs reprises pour éviter au Vésuve de détruire la ville, comme dans la nuit du 15 au 16 décembre 1661 où une coulée de lave qui vient de faire des ravages sur son passage et tuer quatre mille personnes, s’arrête net à l’entrée de la cité, devant les reliques de saint Janvier, sorties d’urgence.
Ces interventions efficaces et rapides, en général, suffisent à lui assurer l’affection napolitaine et les miracles du sang sont alors plus l’occasion d’attirer des touristes ébahis et prévenir les maux à venir que de s’extasier. Il faudra attendre l’éradication de la peste, et les progrès de la vulcanologie pour que saint Janvier soit réduit à ce rôle. À prendre au sérieux d’ailleurs. Les Napolitains vous rappelleront que le sang du saint ne s’était pas liquéfié en septembre 1980, à quelques jours du terrible tremblement de terre dont les plaies ne sont toujours pas refermées.