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“Votez pour moi, je m’occupe de tout” : cette illusion du miracle en politique

Le Jugement de Salomon - 1649 - Nicolas Poussin

Le Jugement de Salomon, 1649, Nicolas Poussin, Musée du Louvre.

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Jean-François Thomas, sj - publié le 14/09/24
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Tout attendre de la politique, prévient le père jésuite Jean-François Thomas, c’est croire à l’illusion des miracles qui ne viennent pas de Dieu. C’est surtout finir par confier à l’État ce qui ne lui revient pas : sa vie intime et spirituelle.

Au lendemain de la Libération, Georges Bernanos parle d’une célèbre figure française en pleine ascension comme d’un homme qui "est tombé dans la politique comme une mouche dans un verre de sirop"(Correspondance, Tome II : 1934-1948, "Lettre à Auguste Rendu", fin octobre 1945). Il dénonce les acrobates qui font semblant de rétablir l’ordre et qui sacrifie la liberté sur l’autel du communisme triomphant. Le même répétait souvent que la dictature est une maladie de la démocratie et que la démocratie finit toujours par tourner à la dictature comme le sang d’un hydropique tourne en eau. 

Ce sain scepticisme prenant en compte la réalité devrait s’appliquer plus souvent au monde politique. Les rois de France, par leur sacre qui était sacrement, avaient reçu pouvoir de réaliser des miracles en guérissant parfois les écrouelles, mais cette force ne découlait point de leur politique, fût-elle bonne et juste. Désormais, sous un régime qui a expulsé Dieu de son horizon, les Français continuent de croire, plus que jamais, aux miracles, mais des miracles laïques étrangers à la sphère religieuse et au surnaturel. Est oublié le fait que ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu, et non point l’inverse.

Ce n’est même plus l’assurance de l’État-providence mais la croyance en un État-thaumaturge qui guérit plus que les écrouelles et qui procure le salut matériel. 

Tous les partis politiques promettent des miracles, ceux qui sont attendus par la population. Cela ne coûte rien. Les discours sont généralement peu en symbiose avec la réalité et le prévisible. L’avenir merveilleux est toujours à portée de la main à chaque nouvelle élection. Tout flotte au-dessus du temps, de la pesanteur et du mal. Le message envoyé est identique, année après année : "Votez pour moi et ne vous souciez plus de rien, je ferai le reste." Ce n’est même plus l’assurance de l’État-providence mais la croyance en un État-thaumaturge qui guérit plus que les écrouelles et qui procure le salut matériel. 

L’inventaire des promesses est complètement chaotique : un pêle-mêle où tout se côtoie puisque, de toute façon, par la suite, tout retourne aux oubliettes. Lorsque Notre Seigneur multiplia les pains et les poissons, Il ne choisit que ces deux aliments et pour un nombre restreint de personnes, celles accourues vers Lui. L’État moderne n’a pas cette sagesse : il dit être capable de multiplier tous les biens à l’infini et en toute occasion, ceci constamment et pour tous. Le Père Noël est plus puissant et plus généreux que Dieu. Il suffit de lui envoyer une liste de demandes et de récriminations et il distribue aussitôt ce qui est exigé et espéré. Il est demandé à la politique de faire le bonheur de tous, sans effort et comme un droit inaliénable. Or, plus l’État est donneur, plus il retiendra à son profit ce qui normalement ne lui revient pas et il exigera de se mêler de ce qui ne le regarde pas dans la sphère intime et spirituelle de chacun. Gustave Thibon notait à ce sujet : 

"Tout ce qu’on demande à l’État, c’est de ne pas prétendre faire notre bonheur à notre place. C’est-à-dire de se cantonner à sa tâche essentielle qui consiste à nous assurer la paix, la sécurité, la justice, tout en nous laissant la plus grande liberté possible de penser, d’aimer et d’entreprendre. Et pour cela, à l’inverse du courant centralisateur et bureaucratique qui submerge les nations modernes, il doit restreindre ses attributions au lieu de les étendre comme il le fait aujourd’hui" (Au secours des évidences).

L’État prend la place de Dieu

Cette revendication généralisée des droits envers l’État fait le jeu de ce dernier qui, en retour, profite de cette dépendance pour brider les esprits et pour empêcher au maximum les âmes de se nourrir en laissant la partie congrue au spirituel. Et chacun sait pertinemment que réclamer à hauts cris ses droits va souvent de pair avec la violation de ses devoirs et la tentation de se revêtir de ce qui n’appartient qu’à Dieu. Heinrich Heine écrivait déjà en 1834 : "Nous ne nous battons pas pour que le peuple accède aux droits de l’homme, mais pour que l’homme accède aux droits divins" (La religion et la philosophie en Allemagne). Ainsi un changement de gouvernement ne mélange point les cartes puisque les principes immuables demeurent : accomplir des miracles pour contrôler les âmes et les intelligences. L’écrivain colombien Nicolás Gómez Dávila fait cette juste constatation : "Dans la théorie démocratique, “peuple” signifie populus ; dans la pratique démocratique “peuple” signifie plebs" (Carnets d’un vaincu)

Les hommes politiques se prennent pour des dieux de l’Olympe et agissent comme eux avec des passions désordonnées identiques, uniquement pour leur propre ego.

Le sens de la dépendance a été perverti, ceci étant le propre de toute société sécularisée où l’État finit toujours par occuper la place de Dieu. Dans une telle configuration, les programmes politiques diffèrent peu les uns des autres puisqu’ils s’accordent sur l’essentiel qui est justement cette assise divine autoproclamée. Le législateur devient omnipotent alors que dans un État sainement constitué, il devrait être confronté à une multitude d’obstacles remettant en cause sa prétention à tout régenter en échange de pain et de jeux. Ainsi, à regarder en arrière, il est honnête de constater que nos sociétés modernes avancées, à bout de souffle à force de ne compter que sur des miracles étatiques, ne diffèrent de celles qui les ont précédées que par deux aspects peu glorieux : la vulgarité et la technique devenue folle.

L’attente du rêve perpétuel

Le monde politique participe ô combien à la confusion généralisée et en est aussi victime. Lorsqu’ "il n’y a plus de mot pour rien", comme le constatait Gabriel Marcel, tout perd de sa couleur, de son contour, de son contenu et devient  interchangeable. Nous ne vivons plus que dans l’informe, dans le mélange, dans l’innommable. Plus personne n’a les mots pour cerner les problèmes puis pour les résoudre de façon sage, rationnelle, sans confondre la parole humaine avec la Parole divine, sans prétendre à accomplir des miracles qui, loin de satisfaire, ne peuvent qu’entretenir l’insatisfaction et l’égoïsme. Le fanatisme politique est celui qui revêt ce domaine du sceau divin lorsque les lumières de la raison ambitionnent de devenir un objet de foi. Les hommes politiques se prennent pour des dieux de l’Olympe et agissent comme eux avec des passions désordonnées identiques, uniquement pour leur propre ego. Les révolutions ne sont pas de nouvelles révélations. Changer l’eau du bain ne purifiera pas le monde car la guérison de ce dernier ne dépendra jamais de l’ordre politique. Les systèmes qui ont poursuivi cette chimère ont tous sombré dans le sang tôt ou tard ou bien utilisé la manipulation et le contrôle des esprits.

S’installent ainsi le mensonge en haut et la confusion en bas. La société devient peu à peu semblable au chaudron des sorcières de Macbeth, tout en protégeant des apparences lisses. C’est ainsi qu’elle devient hystérique, au sens où l’entend Ludwig Klages : "réaction du besoin de représentation contre le sentiment de l’impuissance à vivre". C’est alors le refuge et l’évasion dans le rêve et dans l’attente du miracle perpétuel. Et, en effet, l’État fera tout pour rendre apparemment onirique l’existence de tous, dans tous les domaines. Le réveil sera brutal car, un jour ou l’autre, beaucoup constateront que les nourritures distribuées sont de mauvaise qualité ou empoisonnées. Ils forceront la porte de la prison pour découvrir enfin la réalité et bénéficier d’une lumière qui se mérite par la peine, l’effort, l’oubli de soi.

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