À partir des années 1950, les éditions Grasset ont publié une série intitulée "Ce que je crois", où des personnalités étaient invitées à partager au public le contenu de leur foi. La liste des auteurs est prestigieuse : François Mauriac, Gilbert Cesbron, Jean Guitton, Maurice Clavel, Jacques Ellul, le P. Bruckberger, etc. Le résultat est inégal mais pas dénué d’intérêt. Mais c’est le principe qu’il convient d’interroger. Est-il légitime, pour un chrétien, de rédiger un texte intitulé "Ce que je crois" ? Jésus, dans l’Évangile, semble nous y inviter, puisqu’il interroge les disciples : "Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ?" (Mc 8, 28.)
La réponse de foi que Jésus attend
Si Jésus interroge, ce n’est pas à la manière d’un élève vis-à-vis du professeur. L’élève ne sait pas et attend qu’on l’éclaire. Jésus, lui, interroge en maître, qui donne aux disciples l’occasion d’exprimer ce que lui-même sait déjà. Lorsque Jésus interroge, ce n’est pas par ignorance, mais pour qu’en formulant notre réponse, nous faisions la vérité en nous-mêmes. C’est au sens littéral une vérification, une opération par laquelle la vérité se fait, non pas en lui, qui n’en a pas besoin, mais en ses interlocuteurs. Quoi qu’il en soit, Jésus interroge pour savoir ce que ses disciples croient qu’il est.
La foi théologale vient de Dieu, et elle a Dieu pour objet. Non pas un Dieu façonné au gré des préférences individuelles — j’en prends et j’en laisse — mais Dieu tel qu’il se révèle par sa Parole reçue dans l’Église.
Il semble donc légitime, pour un chrétien, de rédiger un texte intitulé "Ce que je crois". Oui mais… la seule réponse que Jésus accepte, dans l’Évangile, est celle de Pierre : "Tu es le Christ" (Mc 8, 29). Dans le parallèle chez Matthieu, Jésus observe : "Cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux" (Mt 16, 17). Autrement dit, la réponse de foi que Jésus attend, la seule qui soit correcte, n’est pas le produit de la subjectivité individuelle de chacun. Jésus n’attend pas une réponse formulée en : "pour moi, tu es…" Car alors, nous serions nous-mêmes la mesure de notre foi.
Le don de la foi reçue dans l’Église
La foi théologale n’est pas un repas au restaurant chinois, où chacun peut choisir son menu, en fonction de ses préférences, et même sur un menu donné exiger qu’on modifie telle ou telle chose. La foi théologale vient de Dieu, et elle a Dieu pour objet. Non pas un Dieu façonné au gré des préférences individuelles — j’en prends et j’en laisse — ce qui est le propre de l’idolâtrie ou bien de l’hérésie, mais Dieu tel qu’il se révèle par sa Parole reçue dans l’Église. À bien des égards, tout baptisé à qui on demanderait de rédiger un "Ce que je crois" devrait tout simplement réciter le Credo ! Car alors, la foi qu’on professe n’est pas une construction subjective, mais l’expression du don reçu dans l’Église par l’action de l’Esprit-Saint. Ce qui n’empêche pas que l’expression objective de la foi de l’Église implique une adhésion personnelle, du plus profond de l’intelligence et du cœur de chacun, sans quoi elle est une foi morte.
Le critère de vérification
Et même l’expression correcte de la foi ne suffit pas ! Car Pierre, qui vient de confesser sa foi : "Tu es le Christ", subit un revers de fortune lorsqu’il prétend éviter à Jésus le martyre de la Croix. Il s’entend répondre : "Passe derrière moi, Satan !" (Mc 8, 33). Il ne suffit donc pas de savoir et même de croire que Jésus est le Christ, qu’il est le Fils de Dieu venu dans la chair. Il faut encore que toute notre vie se conforme à cet acte de foi.
Si tu poses les actes de la foi, avec fidélité et persévérance, ce doute subjectif doit être balayé car tes actes parlent pour toi, ils témoignent de ta foi.
C’est ce que saint Jacques, dans son épître, affirme avec force : "La foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte" (Jc 2, 17). La foi qui ne s’épanouit pas dans une vie sainte ni ne se déploie dans des œuvres de charité est une foi morte, professée des lèvres seulement. À tel point que saint Jacques n’hésite pas à faire des œuvres, c’est-à-dire tous les actes bons posés par l’homme, le critère de vérification de la foi : "Moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi" (Jc 2, 18).
À ceux qui doutent
Il n’est pas anodin que Martin Luther ait expulsé l’épître de Jacques du corpus biblique reçue dans la Réforme protestante : il était trop évident qu’elle contredisait frontalement son interprétation erronée de saint Paul sur la justification par la foi seule, c’est-à-dire l’idée que Dieu nous sauve en vertu de notre foi sans tenir compte de nos œuvres, avec l’idée sous-jacente que nos œuvres, en tant qu’elles sont humaines, ne sauraient nous sauver, privilège qui revient à Dieu seul. En l’occurrence, Luther pourrait être l’ancêtre de la collection "Ce que je crois" entendue en un sens de sélection subjective individuelle : j’en prends et j’en laisse, en fonction de mes préférences.
Mais plutôt qu’une stérile polémique antiprotestante, il faut surtout en tirer un enseignement pour nous-mêmes, en renversant la proposition de saint Jacques : à tous les chrétiens qui, parfois, doutent de leur foi, il faut répondre : quelles sont tes œuvres ? Si tu poses les actes de la foi, avec fidélité et persévérance, ce doute subjectif doit être balayé car tes actes parlent pour toi, ils témoignent de ta foi. Cesse donc de t’interroger à l’infini, dans une introspection qui ne mène à rien, et regarde simplement ce que tu fais, comment tu vis. Là, tu sauras si tu as la foi.