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Pourquoi le contrôle de la dette publique est une priorité morale

Ministère de l'Economie et des Finances, Bercy.

Jean-Yves Naudet - publié le 11/09/24
Confronté à un déficit public abyssal, le nouveau Premier ministre Michel Barnier a promis d’agir « en vérité ». Le défi est de rompre avec la logique immorale du financement de nos dépenses actuelles de santé, de retraite ou nos services publics par nos petits-enfants. En quoi la situation de la France est-elle anormale et dangereuse ? Les explications de l’économiste Jean-Yves Naudet.

La préparation du budget pour l’an prochain et les mises en garde de la Commission européenne placent le nouveau Premier ministre devant l’épreuve du contrôle des déficits et de la dette publique. C’est une question qui semble souvent abstraite aux Français, bien moins concrète en tous cas que le pouvoir d’achat, les retraites ou la sécurité. C’est pourtant un sujet essentiel, mais abordé d’une manière trop lointaine et abstraite. Parler d’un déficit public de 5,6% du PIB ou d’une dette publique de plus de 3.000 milliards d’euros, représentant environ 110% du PIB, ne signifie rien pour les non spécialistes et, du coup, semble un sujet secondaire, alors que c’est de l’avenir qu’il s’agit.

Il faut d’abord expliquer d’où viennent déficits et dette. L’État, les collectivités locales, les organismes de protection sociale sont comme un ménage : ils ont des recettes (pour eux, ce sont les impôts et les cotisations sociales) et des dépenses de fonctionnement et d’investissement. Lorsque les dépenses dépassent les recettes, il y a déficit et pour l’État, comme pour une famille, la seule façon de le combler est d’emprunter. Il faudra ensuite payer chaque année les intérêts, ce qui se rajoute aux autres dépenses, et rembourser peu à peu le capital. Mais si le déficit dure plusieurs années, les emprunts s’ajoutent aux emprunts, la dette s’accroît et on finit par emprunter pour rembourser les emprunts arrivant à échéance. 

Déficit de fonctionnement ou d’investissement ?

Est-il grave d’avoir des dettes ? Cela dépend pourquoi on emprunte. Une famille qui emprunte pour acheter un logement sait qu’elle va mettre 15 ou 25 ans pour rembourser, mais le logement est là, dont on peut profiter immédiatement, et cela semble bien naturel car rares sont ceux qui peuvent l’acheter sur leurs ressources courantes. Il en va de même pour l’État et les collectivités publiques : emprunter pour financer une piscine, une école, une route, etc. est bien naturel, car l’investissement est durable et même si le remboursement prendra des années et pèsera sur la génération suivante, celle-ci pourra en profiter aussi. En revanche, que dire d’une famille qui emprunte sans cesse pour financer ses achats courants de nourriture ou de vêtements ou encore son essence ? Cela arrive hélas parfois et le surendettement des ménages est une réalité, mais chacun comprend que cela ne peut durer longtemps et que c’est une situation anormale.

Bien entendu, nous avons emprunté chaque année pour combler le déficit, mais les emprunts d’il y a 50, 40 ou 30 ans ont bien sûr été remboursés. Comment ? Par de nouveaux emprunts.

Il en va de même pour l’État ou la Sécurité sociale : ces organismes, en France, ont un déficit de fonctionnement (le cas des collectivités locales est un peu différent car elles n’ont pas le droit d’en avoir) ; en clair, cela veut dire qu’elles doivent emprunter pour payer les fonctionnaires ou les retraites ou les dépenses de santé. C’est une situation anormale et dangereuse, surtout si elle est durable, car les intérêts plombent de plus en plus les budgets et le remboursement du capital est reporté sur les générations suivantes : est-il logique de faire financer par nos petits-enfants nos dépenses actuelles de santé, de retraite ou nos services publics et de ne leur léguer que des dettes ? 

Depuis quand la France est-elle en déficit ?

Pour comprendre ces mécanismes complexes, il faut les ramener à quelques éléments très simples. Un État peut, comme une famille, être en déficit, pour des raisons graves et exceptionnelles, pendant une courte période. Cela arrive et, rapidement, on rétablit les choses. Mais en France le dernier budget de l’État en équilibre remonte à 1974. Cela fait donc 50 ans de déficits annuels, certes plus ou moins importants suivant les périodes et les gouvernements, mais jamais on n’est revenu à l’équilibre.

Le déficit du budget de l’État est donc de près d’un tiers des dépenses ; c’est plus parlant qu’en pourcentage du PIB. 

Le déficit est donc devenu systémique, et nous nous y sommes habitués, comme si cela était sans conséquences. Bien entendu, nous avons emprunté chaque année pour combler le déficit, mais les emprunts d’il y a 50, 40 ou 30 ans ont bien sûr été remboursés. Comment ? Par de nouveaux emprunts. Nous devons donc chaque année emprunter pour combler le déficit de l’année, mais aussi pour rembourser les emprunts arrivant à échéance. Il y a quelques années, les taux étaient faibles ; ils sont désormais plus élevés, ce qui fait que la charge de la dette augmente (il s’agit du seul paiement des intérêts). En 2024, cette charge s’élève à 46,3 milliards contre 39 l’an dernier. Avec la hausse des taux, on devrait atteindre 72,3 milliards en 2027. Cela deviendrait le premier poste du budget, devant l’Éducation nationale. Voilà un premier inconvénient des déficits et de la dette : ces sommes considérables ne peuvent servir à l’éducation, la santé ou la sécurité.

Quel est le montant du déficit ?

Pour 2024, le montant du déficit public vient d’être rectifié à la hausse : il représente cette année 5,6% du PIB (au lieu des 5,2% initialement prévus) et, comme on est presque en fin d’année, les nouvelles mesures que pourrait prendre le gouvernement ne changeront pas grand-chose pour 2024. Mais calculer en pourcentage du PIB n’a pas beaucoup de sens et, après tout, 5,6% ne semble pas bien considérable ; mais c’est trompeur, car le PIB représente tout ce que produisent les Français et qui leur permet de vivre et non pas tout ce qui appartient à l’État. Il faut donc plutôt comparer par rapport aux recettes fiscales. Si on s’en tient au seul budget de l’État, le budget initial, qui a bien dérapé depuis, prévoyait 453 milliards de dépenses et 312 milliards de recettes, ce qui donne un déficit d’un peu plus de 140 milliards. Cela signifie, en gros, que quand l’État dépense 100, il en finance 68% par l’impôt et 32% par l’emprunt. Le déficit du budget de l’État est donc de près d’un tiers des dépenses ; c’est plus parlant qu’en pourcentage du PIB. 

Les déficits et la dette de la France sont très élevés. Cette situation n’est pas saine, car elle limite nos marges de manœuvre à un moment où beaucoup de besoins se manifestent. 

Il faut donc emprunter pour le combler. Combien en 2024 ? Si l’on s’en tient toujours au budget d’origine (et les chiffres ont dérapé depuis), il faut emprunter non pas seulement ces 140 milliards, mais 300, car il faut y ajouter 160 milliards pour rembourser la dette antérieure arrivée à échéance. Autrement dit, en simplifiant, la moitié de nos besoins de financement provient du déficit de l’année et l’autre moitié du remboursement de la dette antérieure.

Et celui de la dette ?

On comprend que cette fuite en avant conduise à une dette toujours plus élevée. Le chiffre change sans cesse, puisqu’il augmente en permanence ; cette dette était de 3.160 milliards fin mars 2024 (chiffres publiés fin juin), soit 110,7% du PIB. Là encore, ces chiffres sont bien abstraits. Le calcul en pourcentage du PIB ne signifie pas grand-chose, mais il permet des comparaisons internationales, ce qui nous montre que nous sommes parmi les plus endettés de l’Union européenne (elle s’élève en moyenne dans l’UE à 27 pays à 81,7%). Il n’y a que deux pays à être plus endettés : la Grèce et l’Italie, mais leur trajectoire s’améliore, contrairement à la nôtre.

Pour rendre les choses moins abstraites, quelle est la dette publique par habitant ? Au 1er janvier 2024, il y avait en France 68.373.433 habitants. La dette publique représente donc environ 46.200 euros par habitant ou encore 184.800 euros pour une famille de quatre personnes. La comparaison est pertinente, car il nous faudra bien la rembourser un jour et ce sont les ménages (et les entreprises, mais cela revient finalement au même) qui la rembourseront : voilà l’héritage que nous transmettons à nos enfants et petits-enfants.

Est-ce grave, docteur ?

Le but de cet article n’est pas de présenter des solutions, surtout au moment où un nouveau gouvernement se met en place, mais seulement ici de faire un état des lieux. Les déficits et la dette de la France sont très élevés. Cette situation n’est pas saine, car elle limite nos marges de manœuvre à un moment où beaucoup de besoins se manifestent. Quoi qu’en disent certains, il faudra bien rembourser un jour, car sinon plus personne ne prêtera à notre pays : les emprunts russes n’ont pas laissé de bons souvenirs. Au moment où on parle tant du souci des générations suivantes, leur léguer notre dette et leur faire payer nos dépenses de fonctionnement d’aujourd’hui n’est pas très moral. De plus, cette dette est essentiellement financée par des emprunts auprès d’investisseurs étrangers. Ils nous prêteront tant qu’ils auront confiance, d’où l’importance des agences de notation, qui mesurent notre capacité à rembourser. La confiance disparaît vite en cas de mauvaises décisions et la perte de confiance se traduit par des taux d’intérêt plus élevés (on l’a vu il y a quelques années avec la Grèce). Une dette publique trop forte nous rend dépendant de l’étranger et réduit notre souveraineté. En cas de crise, certains pays se retrouvent ainsi sous la tutelle des organismes internationaux.

Voilà pourquoi cette question des déficits et de la dette est importante : nul, pas même un pays, ne peut vivre longtemps au-dessus de ses moyens et la faillite financière conduit toujours à des drames économiques et sociaux. C’est un problème certes complexe, surtout dans un pays qui bat déjà les records de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires ; mais nul gouvernement, quelle que soit son orientation politique, ne peut ignorer cette question.

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