Un détour par l’histoire est essentiel pour comprendre le contexte des manifestations de cet été au Bangladesh. Lorsque l’empire anglais des Indes accède à l’indépendance, en 1947, il se scinde en plusieurs pays, dont le Pakistan, alors divisé entre un Pakistan occidental et un Pakistan oriental. La partition de l’Empire s’effectue sur des bases qui sont à la fois ethniques et religieuses. Si le Pakistan oriental est majoritairement musulman, une forte communauté indienne et hindoue y réside. En 1971, les Bengalis se révoltent et obtiennent l’indépendance. Le pays change de nom et devient le Bangladesh.
Cette guerre d’indépendance est soutenue par l’Inde, toujours ravie d’affaiblir son voisin pakistanais avec qui les motifs de frictions sont nombreux. Pour remercier les combattants de la guerre d’indépendance, et pour se créer une clientèle fidèle, certains emplois dans l’administration sont réservés aux combattants, privilège étant étendu à leurs descendants. C’est contre ce privilège que les étudiants ont manifesté cet été, demandant que les emplois publics soient accessibles à tous. À l’origine, il s’agit donc d’une révolte sociale des étudiants.
Main basse islamiste
Le gouvernement réagit mal. Pris de panique, il autorise la police à tirer sur la foule, ce qui provoque des morts et une exacerbation des tensions. Le mouvement estudiantin vire à la révolte politique, d’autant qu’il est noyauté par des organisations islamistes très bien structurées, qui imposent leurs cadres, leurs chefs et leurs modes opératoires. Le Bangladesh Nationalist Party (BNP), principal parti d’opposition, qui ne cache pas ses accointances islamistes, prend en main le mouvement, avec l’aide du mouvement de jeunesse du Jamaat-e-Islami, parti islamique basé au Pakistan. Les violences s’accroissent : contre les bâtiments officiels, postes de police et ministères, mais aussi contre des lieux de culte hindous et contre des populations hindoues. Des pogroms sont organisés, provoquant la mort de plusieurs civils hindous, ce qui provoque immédiatement la crainte et la colère de l’Inde voisine. Le Premier ministre quitte le gouvernement et fuit en Inde, un Premier ministre par intérim est nommé en la personne de Mohammed Yunus.
Inquiétudes régionales
Parmi la foule des manifestants, certains brandissent des drapeaux du jihad international. Des statues sont déboulonnées, dont celles de Mujibur Rahman, pourtant considéré comme le père de la nation et artisan de l’indépendance de 1971. Il lui est reproché l’adoption d’une constitution laïque et le soutien de l’Inde lors de la guerre d’indépendance. De quoi inquiéter Delhi, mais aussi la Birmanie, confrontée à de vives tensions internes et qui regarde toujours avec beaucoup de méfiance les populations de Rohingyas, qui peuplent une région à cheval entre la Birmanie et le Bangladesh et dont une partie est affiliée au jihad international.
Tous les grands acteurs régionaux ont des intérêts au Bangladesh.
Et la Chine dans tout ça ? Ses entreprises sont nombreuses au Bangladesh, notamment dans le textile et Pékin considère le delta du Gange comme un débouché portuaire pour la Chine, lui permettant un accès direct à l’océan Indien et un gain de temps considérable puisque cela évite le passage par le détroit de Malacca. Tous les grands acteurs régionaux ont donc des intérêts au Bangladesh, intérêt surtout à ce que le pays ne s’effondre pas et qu’il ne devienne pas le foyer putréfiant d’un djihadisme asiatique.
L’homme des Américains
Si Mohammed Yunus est très apprécié en Occident, qui lui a délivré le prix Nobel de la paix, sa figure est beaucoup moins consensuelle en Asie. Pour beaucoup, il est l’homme des Américains, lui qui a passé une partie de sa vie aux États-Unis. Son arrivée comme Premier ministre par intérim est interprétée par les acteurs locaux comme une immixtion des États-Unis dans les affaires locales, avec l’appui des services pakistanais. À plus de 80 ans, beaucoup pensent pouvoir le manipuler. Les islamistes ont obtenu des sièges au gouvernement, espérant s’en servir de levier pour prendre le pouvoir. Des manifestations à l’origine interne et nationale sont en train de créer un foyer dangereux dans le delta du Gange où les grandes puissances ne souhaitent pas laisser disparaître les parcelles de leur influence.