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Le véritable péché de l’homme aujourd’hui

TABLEAU APOCALYPSE AURIMAGES

L'Apocalypse par Joseph Heintz le Jeune, 1674, Musée d'histoire de l'art de Vienne.

Jean-François Thomas, sj - publié le 02/09/24
Il y a quelque chose d’apocalyptique dans le péché d’aujourd’hui, soutient le jésuite Jean-François Thomas. L’adoration de l’homme par lui-même vise à corrompre le lien entre l’homme et son Créateur.

S’il existe une souffrance propre à tous les hommes, il s’agit bien de celle de la corruption. Pascal, dans ses Pensées, constatait ceci : "Car enfin, si l’homme n’avait jamais été corrompu, il jouirait dans son innocence et de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l’homme n’avait jamais été que corrompu, il n’aurait aucune idée ni de la vérité, ni de la béatitude. Mais, malheureux que nous sommes, et plus que s’il n’y avait point de grandeur dans notre condition, nous avons une idée du bonheur et ne pouvons y arriver, nous sentons une image de la vérité et ne possédons que le mensonge, incapables d’ignorer absolument et de savoir certainement, tant il est manifeste que nous avons été dans un degré de perfection dont nous sommes malheureusement déchus" (dans les Fragments connexes, Contrariétés 14, Sellier 164).

Des symboles apocalyptiques

Nous sommes tous marqués, malgré nous, par cette corruption originelle qui, pourtant, n’est pas le produit de la création divine. Ainsi sommes-nous des êtres divisés, même lorsque délivrés du péché d’Adam par le baptême. Non contents d’être affectés par cette corruption primordiale, nous nous évertuons à cultiver nos propres souches, avec un soin tout particulier. Certaines époques, dans certains pays, sont comme des apothéoses de ces corruptions fabriquées par ceux qui, orgueilleusement, les regardent comme des créations originales. La société française, depuis deux cents ans, renchérit, ô combien, dans cette course à l’ignominie. Une nouvelle étape fut franchie lors des cérémonies d’ouverture et de fermeture des Jeux olympiques de Paris, résumés, non seulement de notre décadence culturelle et des mœurs, mais aussi de l’idéologie politique mondialiste mise peu à peu en place. Malgré toutes les déclarations officielles, méprisantes ou outrées, niant tout désir de choquer, de profaner, de blasphémer, une lecture très claire peut être établie de tous les symboles apocalyptiques, sataniques utilisés et du message qui est ainsi envoyé au monde entier. 

Aux allures d’une nouvelle morale

Le règne de l’Antichrist s’installera par une corruption qui prendra les allures d’une nouvelle morale et qui s’imposera comme le seul Bien acceptable. Il suffit de méditer les écrits des Pères sur le sujet à la suite des Saintes Écritures et, plus proches de nous, de relire, entre autres, John Henry Newman, Belloc et Soloviev. René Girard — si négligé en France à cause de l’insistance apocalyptique de son œuvre — précise que le temps qui nous reste avant la Parousie — Parousie qui est la défaite de l’Antichrist — est celui que nous allons mettre "à refuser d’entendre, à nous aveugler de plus en plus, coûte que coûte, jusqu’à nous exterminer les uns les autres". Saint Paul avait annoncé à son fils spirituel Timothée : "Car un temps viendra où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine, mais au gré de leurs désirs se donneront une foule de maîtres, l’oreille leur démangeant, et ils détourneront l’oreille de la vérité pour se tourner vers les fables" (2Tm 4, 3-4). Nous assistons — tout en y participant plus ou moins activement — à cette entreprise de démolition par la corruption de tout acte et de toute parole. Érick Audouard, l’admirable traducteur du poète et philosophe argentin Leonardo Castellani (autre apocalypticien), signale : 

Lorsque les prophéties s’accomplissent, ne nous reste que les Commandements ; ne nous reste qu’à choisir entre un horizon de perdition et de sainteté. Le diable ne se déchaînerait pas tant sur la terre s’il n’était définitivement tombé. Ses dernières heures, il les dépense à faire croire qu’il triomphe ; il peut faire illusion, mais il ne peut rien contre la plus humble prière, ni contre la Parole lorsqu’elle est restaurée dans sa puissance originelle et créatrice. (Introduction à Leonardo Castellani, "Le Verbe dans le sang"). 

Les saints des derniers temps

Très surprenant de constater que les corrupteurs contemporains en ce monde — ceux qui vraiment savent en toute conscience qu’ils servent l’Antichrist puisqu’ils utilisent sans cesse des références apocalyptiques dans leurs mises en scène, dans leurs actions — mettent entre parenthèses, semblent oublier ou ignorer que leur maître de mensonge sera défait au dernier jour et que sa victoire apparente ne dure qu’un temps très bref.

À Noël 1939, le pape Pie XII parla des "ténèbres qui sont tombées sur la terre"… Leonardo Castellani, en 1953, écrivant sur Léon Bloy, reprend cette méditation apocalyptique en poursuivant ainsi : "Dieu ne voudrait-il pas que les saints des derniers temps souffrent des prémices, des combles et de l’essence des ténèbres versées par la cinquième coupe ?" Il parle ici de la coupe versée par le cinquième ange sur le trône de la bête, ce qui plonge le royaume de ce cette dernière dans les ténèbres, ce qui conduit les hommes à blasphémer le vrai Dieu tout en souffrant et à ne point se repentir (Ap 16, 10-11). Il continue : 

Par sa vie, par sa mort, Jésus-Christ anticipa toute la chrétienté avec ses confesseurs, ses vierges et ses martyrs. Il est donc juste que certains d’entre eux, prenant les devants, se fassent matériel expérimental et cobayes entre les mains de l’Omnipotent. Il se trouve que je vis déjà dans les derniers temps. Et je connais la grande tribulation. J’ai vu l’Antéchrist, pourrait dire — dis-je — Léon Bloy. (Le Verbe dans le sang, "La croix de Léon Bloy"). 

Le péché d’aujourd’hui

Tous ceux qui ne se laissent pas prendre aux pièges dressés par les corrupteurs au service de l’Antichrist sont plongés au cœur de la terrible épreuve qui a déjà commencé. Lorsque le jésuite Castellani, à l’âge de 34 ans, rencontra en 1933 un Claudel déjà âgé, leurs échanges furent bien sûr apocalyptiques, et l’Argentin rapporte les réflexions du poète au sujet du deuxième commandement de la première version des tables de la Loi : ne point se faire d’images taillées et ne point les adorer ni les servir. Paul Claudel déclara : 

Tel est le péché d’aujourd’hui. Je veux dire le péché de l’homme actuel, de notre époque, de la civilisation moderne. Certes, nous n’adorons pas un fétiche d’or ou d’argent, ou quelque Minerve en marbre, mais nous adorons l’œuvre de nos mains, nous nous auto-adorons à travers nos misérables constructions. Les idoles du jour : le progrès, la culture, la civilisation, l’art, la science moderne, la surproduction, la radio, les gratte-ciel, les œuvres de nos mains… (Le Verbe dans le sang, « Avec Claudel, en coup de vent »)

Les corrupteurs seront vaincus

La liste, depuis, pourrait être complétée car le génie créateur et destructeur de l’homme n’a guère de limites, mais la soif de corruption est identique. Les derniers spectacles olympiens sont une quintessence de l’adoration de l’homme par lui-même, un homme qui veut être sa propre origine et qui, pour cela, préfère servir le maître pervers lui promettant une autonomie totale vis-à-vis du Créateur. Les corrupteurs ne sont pas des naïfs. Ils savent utiliser tous les symboles à leur profit et ils sont suffisamment doués pour distordre la réalité. Ils savent qu’ils jouent très gros et qu’ils risquent de tout perdre si la prise espérée (l’humanité) ne mord pas à l’hameçon. Parfois même sans doute se glisse dans leur oreille une petite voix qui les met en garde et leur siffle qu’ils seront vaincus, mais ils repoussent rapidement cet avertissement et ils s’entêtent, s’enferrent et gagnent des batailles, couronnés de succès, d’honneurs, de gloire. 

Laissons à Castellani le mot de la fin : "Le diable est résistant, et il est aussi véloce, cela ne fait aucun doute. Mais c’est à travers nous autres, les naïfs et les benêts — nous qui avons peur du diable, de l’Antéchrist et de la Prostituée écarlate — que ce monde créé par Dieu sera un jour sauvé, si tant est qu’il mérite de l’être" (Le Verbe dans le sang, "Vision religieuse de la crise" 1951). Les corrupteurs peuvent bien chanter, ils ne danseront pas pour l’éternité.

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