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Comment les Pères du désert considéraient le corps

ADAM, EWA, JABŁKO
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Aliénor Strentz - publié le 14/07/24 - mis à jour le 09/08/24
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La théologie du corps selon les Pères grecs nous offre un éclairage des plus enrichissants sur la valeur spirituelle du corps lié d’une façon intrinsèque à l’âme de chaque personne. Une anthropologie chrétienne salutaire à l’opposé de la conception contemporaine du corps, transformé en idole ou en objet mercantile.

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Dans son ouvrage référence intitulé « Théologie du corps » (Les Editions du Cerf, 2009), le théologien orthodoxe Jean-Claude Larchet nous montre combien les Pères grecs portaient une valeur éminente au corps, créé à l’image de Dieu. Pour eux, l’âme et le corps sont tellement liés l’un à l’autre que, selon les mots d’Evagre le Pontique, « tout mouvement de l’âme s’accompagne d’un mouvement du corps, et tout mouvement du corps d’un mouvement de l’âme. » (Traité de l’oraison)

Le récit de la Genèse selon lequel l’homme est créé à l’image de Dieu, capable de ressemblance (Gn 1, 26-27), a été interprété de différentes façons par les Pères grecs. Certains considèrent que c’est essentiellement par son esprit que l’homme a été créé à l’image de Dieu. D’autres au contraire, comme saint Irénée de Lyon (Contre les hérésies) ou encore saint Jean Chrysostome (Homélies sur la Genèse), défendent l’idée selon laquelle le corps a lui aussi été formé à l’image de Dieu. Et pour cause : selon le docteur de l’Eglise saint Irénée de Lyon (140-200), l’homme a été créé plus précisément à l’image du Christ, le Verbe incarné, Dieu ayant prévu de toute éternité l’Incarnation du Fils… 

Le corps est une partie intégrante de la personne et participe de sa valeur spirituelle dès sa conception et au-delà même de sa vie terrestre.

Aux yeux des Pères, explique le théologien Jean-Claude Larchet, « le corps est une partie intégrante de la personne et participe de sa valeur spirituelle dès sa conception et au-delà même de sa vie terrestre ». Il n’est donc ni biblique ni chrétien de le considérer et de le traiter comme une entité indépendante de l’âme et de l’esprit auxquels ils sont liés, ou encore comme une réalité impersonnelle. 

Les effets du péché originel sur le corps

Malheureusement, le péché originel a eu de lourdes répercussions sur la condition et la vision actuelles de notre corps. En se laissant flatter et tromper par le malin sous la forme du serpent (Gn 3), Adam et Eve ont commis un péché d’orgueil : ils ont ignoré le vrai Dieu avec lequel ils vivaient pourtant dans une parfaite amitié, et se sont détournés de Lui volontairement. Ils ont aussi développé dès ce funeste instant, selon Jean-Claude Larchet, « des formes pathologiques d’attachement à la réalité sensible et à soi-même ». En effet, leurs sens qui étaient jusqu’ici subordonnés à l’activité contemplative de leur esprit le furent désormais à la recherche du plaisir et à l’évitement de la douleur.

L’homme déchu devient prisonnier du plaisir et de la douleur, et c’est spontanément en fonction de ceux-ci qu’il se détermine désormais dans ses choix et dans ses actions.

C’est ici qu’apparaît, selon saint Maxime le Confesseur, « la mère de toutes les passions », autrement dit la philautie, attitude passionnée par laquelle l’homme s’attache à son propre corps en raison du plaisir qu’il lui procure. Le corps devient dès lors une idole à laquelle l’homme rend un véritable culte. Comme le note Jean-Claude Larchet, « l’homme déchu devient (…) prisonnier du plaisir et de la douleur, et (…) c’est spontanément en fonction de ceux-ci qu’il se détermine désormais dans ses choix et dans ses actions. »

Dans notre société occidentale contemporaine, on peut songer à certaines pratiques de cette philautie et de la dissociation entre le corps et l’âme : la publicité où le corps est réduit à sa fonction marchande, ou encore la pornographie où les corps se trouvent privés de toute dimension personnelle et spirituelle, et ravalés au rang d’objets pour susciter la convoitise et rendre esclaves les hommes en exploitant leurs passions les plus grossières.

Le vrai sens de la jouissance selon les Pères

Les Pères grecs, loin d’être guidés par une forme de pudibonderie, attribuent au contraire une grande valeur au corps, ainsi qu’au plaisir. Toutefois, leur définition du plaisir est bien éloignée de celle que nous lui donnons aujourd’hui. Pour les Pères grecs, le vrai plaisir est spirituel et consiste en une jouissance des biens divins. C’est là que se trouve notre vraie félicité, telle que l’ont connue Adam et Eve avant la chute. D’ailleurs, comme le rappelle St Grégoire de Nysse (dans La Création de l’homme), Eden signifie « jouissance ». L’homme jouissait de fait au paradis de l’amitié parfaite avec Dieu, et toutes ses facultés tendaient harmonieusement vers une vie en Dieu, qui le rendait heureux. 

Comment préserver notre corps du mal ?

Suite au péché originel, l’homme déchu a perverti l’usage des facultés de son âme et de son corps, désormais soumises à ses propres passions engendrant toutes sortes de maux. Cette tendance à pervertir la véritable vocation de notre corps continue aujourd’hui encore à nous détourner de la vie en Dieu et donc de la « joie parfaite » à laquelle nous sommes appelés (Jn 15, 11). Comment y remédier et retrouver un juste rapport à notre corps et à notre âme ? Nous pouvons tout d’abord prendre conscience que tout ce qui concerne notre corps est loin d’être anodin pour notre âme, et ainsi accroître notre vigilance vis-à-vis de tout ce que nous regardons, écoutons et ressentons. Cette maîtrise sur les désirs parfois passionnés de notre corps constitue l’une des quatre vertus cardinales, appelée « tempérance ». 

Ensuite, nous pouvons ancrer notre espérance dans le Christ qui, par sa crucifixion et sa résurrection, est vainqueur du monde, et nous a délivrés de l’emprise du péché et de la tyrannie du diable. Il nous donne aussi son propre Corps et son propre Sang dans le sacrement de l’Eucharistie, qui nous assure la vie éternelle (Jn 6, 51). Demandons enfin à Dieu la grâce de la chasteté, afin que nos sens soient les serviteurs de notre esprit soumis à Dieu, et non l’inverse. Dans ce combat spirituel, n’hésitons pas à recourir à l’intercession de la Vierge Marie, des martyrs de la pureté, et pourquoi pas des Pères grecs, afin de nous garder purs, et nous donner la paix intérieure et donc la vraie liberté des enfants de Dieu.

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