Je viens de recevoir un petit livre intitulé Avec Pierre de Ronsard de Franck Maubert. Cet ouvrage dévoré d’une traite s’est révélé être un bijou à déguster en début d’été, sous les arbres, avant la canicule. À déguster, mais aussi à méditer. Avant de parler du poète, sur lequel il nous apprend beaucoup de choses, l’auteur exprime une déclaration d’amour à un certain pays, la vallée du Loir, concentré de France heureuse, de rivières, de collines et d’oiseaux, paradis sans excès qu’il n’appelle pas "ruralité", comme disent les candidats aux élections, mais bien "campagne", comme dans les illustrations de Benjamin Rabier ou les Odes d’Horace.
Une histoire de sagesse et d’amour
Paysage idéal, dis-je : dans le Vendômois où est né Ronsard, la nature n’a pas encore la générosité envahissante du pays de Rabelais qui sent déjà son midi. Le tuf de la Poissonnière est bien le même que celui de la Ravinière, mais l’air qui l’environne est moins copieux. Le vin du Vendômois est plus léger que celui de Chinon : le pineau d’Aunis murmure quand le cabernet franc déclame. L’essai de Maubert nous présente une vallée du Loir qui me fait songer à l’Éloge de la fadeur de François Jullien. La fadeur, quel défi ! Quand les saveurs s’effacent et suggèrent plus qu’elles n’imposent, quand la discrétion des sens nous oblige à nous taire, la sagesse peut naître. La fadeur a fondé l’esthétique chinoise comme le génie du Loir a rendu possible un certain bonheur français célébré par Ronsard et ses amis de la pléiade.
Ronsard, grand poète, faisait partie de cette "classe moyenne de la sainteté".
Au vrai, Maubert nous raconte une histoire d’amour qui est sa propre histoire. Comme il arrive parfois dans les histoires d’amour, tout commence par une petite annonce. Franck Maubert tombe amoureux d’une annonce immobilière : "Pays de Ronsard. Cadre exceptionnel, bord du Loir, anciens communs de château restaurés, 220 m2 habitables, viager libre." Il se précipite. Il faut se méfier des amours de tête : Maubert tombe amoureux d’une intelligence incarnée. Il décide d’aimer la version géographique d’un génie poétique. On ne guérit jamais d’un amour de tête. Maubert ne guérit pas. Il n’en finit pas d’aimer Pierre de Ronsard. Il visite sa maison, arpente sa vie, s’éprend de son amie Cassandre, prie sur les gisants de ses parents sagement allongés à côté du baptistère dans l’église de Couture-sur-Loir où le bébé Ronsard est devenu chrétien.
La mort sans crainte
Car Ronsard, grand poète, faisait partie de cette "classe moyenne de la sainteté" comme disait Malègue dans une expression qui a marqué pape François, tiraillé qu’il était entre le vagabondage affectif et l’amour du seul Dieu. Clerc, mais non pas épargné par le monde. Tonsuré, mais plongé dans le siècle. Pierre de Ronsard, qui aimait tant le doux royaume de la terre, aborda la mort sans crainte. "Quelques jours avant Noël, une carriole tirée par deux chevaux le transporte dans la tempête jusqu’au prieuré Saint-Cosme, où il s’éteint le 27 décembre 1585 dans un rêve infini." Mourir à la terre au plus sombre de l’hiver, à l’instant où enfin les jours se mettent à rallonger, quelle espérance !
Pratique