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La démocratie, c’est du sport !

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Jean Duchesne - publié le 08/07/24
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Après des élections houleuses aux résultats confus, la France qui s’apprête à accueillir les Jeux olympiques, peut se tourner vers le sport pour tenter de comprendre certaines étrangetés démocratiques, suggère l’essayiste Jean Duchesne. Comme le sport, la démocratie fonctionne et passionne grâce au respect de règles pas moins artificielles et arbitraires.

Les élections sont une drôle d’affaire. Elles sont une composante essentielle de la démocratie, autrement dit du pouvoir (la terminaison -cratie vient du grec krateïn : diriger, gouverner) exercé par le peuple (demos désignant l’ensemble des citoyens majeurs, à ne pas confondre avec laos : la population entière, ni avec ethnos : la nation, ou communauté s’identifiant par son histoire et sa culture). On vote donc pour choisir des représentants qui prendront les décisions requises pour gérer la vie collective. Cette sélection s’opère selon des critères permettant la participation de tous ceux qui en ont le droit, autrement dit en fonction d’une logique, ce qui (d’après le grec logos) suppose une rationalité s’exprimant dans un langage. C’est cependant moins simple qu’on peut l’imaginer a priori.

Du verbe aux chiffres

Une fois que les discours tenus et écoutés ont fait émerger, s’il n’y a pas de consensus, des options différentes, voire opposées, avec chacune son porte-parole et des partisans déclarés, il s’agit de déterminer laquelle sera retenue. La rationalité n’est alors plus argumentative, mais formelle, quantifiée, mathématique : on ne discute plus, on compte. C’est-à-dire qu’on vote et c’est celui qui recueille le plus de voix qui l’emporte. C’est un procédé purement empirique : confiance est faite à celui ou celle dont le programme ou la personnalité inspire le plus d’adhésions ou de confiance (ou le moins de doutes, de réserves ou d’hostilité).

Quand on dit que "le meilleur" gagne, il ne s’agit pas d’un superlatif, mais d’un comparatif.

Qu’il n’y ait rien là d’absolu est confirmé de plusieurs façons. Quand on dit que "le meilleur" gagne, il ne s’agit pas d’un superlatif, mais d’un comparatif. C’est un événement contingent et non une vérité intemporelle qui serait soudain découverte. D’abord, c’est provisoire et non définitif. Le mandat ainsi donné a une durée limitée et prédéfinie. La majorité peut changer à l’élection suivante. Ensuite, le pouvoir octroyé reste soumis aux lois en vigueur, dont la plus haute est la constitution nationale. Enfin, les modalités ne sont pas universelles. De même que chaque pays a son dispositif étatique et politique propre avec ses particularités, le système électoral est extrêmement variable.

Astuces amplificatrices

En théorie, la proportionnelle serait le moyen le plus juste de prendre en compte les opinions de tous. Mais la diversité et les divisions sont telles qu’il est alors pratiquement impossible de dégager une majorité stable et capable de suivre une ligne cohérente. On a donc inventé des formules qui permettent de constituer des bloc dominants, en amplifiant aussi bien des percées pas si nettes que des reculs relatifs en pourcentage de voix. Les résultats sont plus ou moins artificiels et parfois contradictoires si l’on s’en tient aux chiffres.

Il est piquant de constater qu’à quelques jours d’intervalle, avec à peu près la même part des votes exprimés dans le pays (34%), au Royaume-Uni les travaillistes ont obtenu les deux tiers des sièges au Parlement, tandis qu’en France le parti étiqueté d’extrême "droite" n’est finalement arrivé qu’en troisième position derrière deux coalitions, l’une de "gauche" et l’autre "centriste" (pour ne pas craindre les approximations caricaturales). L’explication est qu’outre-Manche, il n’y a qu’un seul tour et le candidat qui recueille le plus de voix est élu, même si ce n’est pas la majorité des suffrages exprimés, alors que chez nous un second tour a lieu si personne au premier n’a rassemblé au moins la moitié des votants.

Les "coups" de Donald Trump

Dans un genre analogue, Donald Trump a été élu président des États-Unis d’Amérique en 2016 avec trois millions de voix de moins que Mme Hillary Clinton. La raison est que ce n’est pas une élection au suffrage direct. Le candidat vainqueur dans chaque État de l’Union aura les voix de tous les électeurs délégués dans le scrutin décisif, et il suffit pour être élu de gagner avec une marge étroite dans suffisamment d’États, même si l’on perd largement ailleurs.

Tout cela ne fonctionne que si les règles du jeu sont respectées. Mais justement Donald Trump, briguant un second mandat en 2020, a contesté le résultat, bien qu’il ait obtenu sept millions de voix de moins que Joe Biden. Le 6 janvier 2021, il a incité ses partisans à prendre d’assaut le Capitole, siège du Congrès (le Parlement américain), pour empêcher la certification de l’élection. Ce "coup" a échoué, mais la procédure de destitution engagée contre Donald Trump n’a pas obtenu les deux tiers requis des voix (et seulement 57 sur 100) le 14 février suivant au Sénat, et Donald Trump a maintenant des chances d’être réélu en novembre prochain…

Le respect des règles qui sauve la démocratie

Il existe de par le monde bien d’autres manières — et plus efficaces — de contourner ou trafiquer les règles électorales du jeu démocratique afin de conquérir ou garder un pouvoir qui devient sa propre source. La plus banale et la plus sûre ces temps-ci, pour un dictateur vraiment professionnel ou un parti unique, est d’interdire qu’aucun opposant soit candidat en disqualifiant, voire emprisonnant sous n’importe quel prétexte quiconque rendrait possible un choix. Il y a bien sûr toujours les falsifications de listes électorales, le bourrage des urnes, l’intimidation des votants et la servilité des commissions authentifiant le résultat.

Les compétitions athlétiques, qu’elles soient individuelles ou par équipes, ne sont pas des luttes à mort où tous les coups sont permis.

Mais la démocratie est sauve (sinon saine) — et c’est le cas chez nous (tant pis pour les catastrophistes et les déçus du soir du 7 juillet) — tant que les politiques des divers bords respectent a minima les règles du jeu, c’est-à-dire n’empêchent pas leurs adversaires de s’exprimer et de faire campagne, même s’ils les diabolisent, puis ne remettent pas en cause les résultats du scrutin, même si les uns et les autres s’ingénient à n’y relever que du positif pour eux et prennent déjà position pour la suite — on pourrait dire : pour le prochain match.

Des images de la vie

C’est en quoi la politique est peut-être moins éloignée du sport qu’on ne pense. Les compétitions athlétiques, qu’elles soient individuelles ou par équipes, ne sont pas des luttes à mort où tous les coups sont permis. Toutes requièrent des restrictions arbitraires et consenties. Ainsi, les footballeurs acceptent d’être manchots, et les non-initiés butent sur les subtilités du hors-jeu. C’est encore plus net pour le rugby : il paraît plus brutal, mais les fautes entraînant des pénalités échappent au profane. La façon de compter les points au tennis est spécialement peu évidente : 15, 30, 40 puis jeu sauf si égalité à 40, etc. Il y a autant de stratégie dans les courses cyclistes qu’en politique. Et tout cela est aussi artificiel qu’un système électoral.

La démocratie et le sport se sont développés ensemble au XIXe siècle, et ont en commun de fournir du spectacle. Ce n’est pas forcément à déplorer, comme le "situationniste" (et marxiste) Guy Debord (1931-1994) dans son essai de 1967 La Société du spectacle. Il est vrai que le foot (l’Euro), le vélo (Tour de France), le tennis (Wimbledon), voire le rugby (tournée de l’équipe de France en Argentine) se "vendent" aussi bien dans les médias que les législatives, et que les Jeux olympiques n’occuperont pas moins le terrain que la formation du prochain gouvernement. On dira que c’est du divertissement. Mais ce n’est pas sans rapport avec les affaires qui se prennent au sérieux, car tout cela repose sur les mêmes principes de civilisation et soulève des passions analogues. Comme l’a dit plusieurs fois le pape François, le sport est une image d’autant plus instructive de la vie qu’il n’est pas ennuyeux.

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