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Choisissons-nous le nom de notre rue volontairement ? Notre adresse donne-t-elle un indice sur ce que nous pensons, sur ce que nous sommes, sur ce qui peut nous arriver ? Dans la vie réelle, c’est douteux, tant d’autres critères de choix sont prioritaires. Rien ne prouve que l’habitant de la rue Molière est plus drôle qu’un autre, ni que celui de la rue Robespierre a une attirance pour la guillotine. En littérature et au cinéma, c’est un peu différent, tant l’adresse d’un personnage dépend de la liberté souveraine de l’auteur : son choix ne dépend ni des offres du marché immobilier, ni du prêt que peut lui accorder son banquier.
Des plaques de rue très particulières
Le brillant prologue du film Le Prénom rappelle astucieusement que le lecteur et le spectateur sont en droit de chercher un sens aux détails topographiques d’une fiction. Ainsi Jean-Jacques, le livreur de pizzas qui nous mène à travers Paris jusqu’à l’appartement où se situe l’intrigue, passe-t-il sous des plaques de rue très particulières : rue La Bruyère, "un grand auteur français mort d’apoplexie dans d’atroces souffrances, seul, pauvre et abandonné...", rue Lamartine, "un autre grand auteur français mort d’apoplexie dans d’atroces souffrances, seul, pauvre et abandonné", rue Hippolyte-Lebas, "architecte de la tristement célèbre prison de la Petite-Roquette où on enterrait les condamnés à mort avant leur exécution", rue des Martyrs et rue Saint-Georges, "célèbre martyr lui-même, mort ébouillanté, pelé comme une tomate avant d’être écartelé, broyé sous une roue puis décapité", et, enfin, impasse Bertholon, "physicien peu connu car mort foudroyé durant l’une de ses toutes premières expériences". La voix off de Patrick Bruel en conclut légitimement que « Jean-Jacques pourrait voir dans ce parcours macabre un mauvais présage ».
Ce détail énorme
Dans le film Un p’tit truc en plus, personne, à notre connaissance, n’a relevé une étonnante plaque de rue. Il est vrai que peu d’articles se sont intéressés au film lui-même, tant les costumes du festival de Cannes ou le nombre d’entrées (effectivement réjouissant) ont occupé les esprits. C’est dommage, car, quoi que l'on pense de certaines facilités du scenario, le film comporte au moins une scène d’anthologie, celle où un jeune trisomique donne une leçon d’art dramatique au personnage qui tente de singer le handicap mental : vertigineux miroir, où le "méta" n’est pas, comme trop souvent, un simple jeu d’initiés, mais une bouleversante leçon de vie.
Et la plaque de rue ? Il est temps, en effet, de cesser de tourner autour du pot. Au moment du happy end (ce n’est pas révéler grand-chose d’écrire cela à propos d’une comédie), la caméra dévoile l’adresse du lieu où les principaux personnages fêtent Noël : "Place Simone-Veil". Oui, c’est place Simone-Veil que se vit ce dénouement joyeux, qui rassemble en un même lieu, dans la pure tradition théâtrale, toute la communauté dont les tensions ont fait l’intrigue. C’est place Simone-Veil que des acteurs porteurs d’un handicap mental témoignent d’une joie de vivre qui fait aujourd’hui défaut à tant de personnes aussi performantes que suicidaires. Quelles que soient les intentions du cinéaste, il est difficile de ne pas être frappé par ce détail énorme. La chose serait-elle passée inaperçue, si le film s’était clos par une formule explicite : "Ce film est dédié à Simone Veil" ? Au moment du dénouement, la plaque vaut pourtant presque dédicace. Est-ce un pied-de-nez à une logique exclusivement abortive ? Est-ce au contraire, de manière beaucoup plus tirée par les cheveux — et nettement plus consensuelle —, un bizarre hommage à une rescapée du nazisme partisan de l’eugénisme ?
Impossible de ne pas chercher un sens
On connaît l’éternelle question de l’élève qui veut tester son professeur de lettres, au milieu d’une analyse textuelle approfondie : "Est-ce que l’auteur y a pensé ?" Manière de renvoyer l’étude littéraire au rang des hypothèses incertaines, voire des élucubrations vaines. Il ne reste alors qu’un pas à franchir pour faire d’une œuvre un pur fruit du hasard, auquel des imposteurs ou des naïfs s’évertuent à donner un sens a posteriori. Soit, mais cela suppose d’admettre, plus naïvement encore, qu’un auteur peut appeler un personnage M. Ducon par simple inadvertance. C’est pourquoi il nous semble impossible de ne pas chercher un sens à cette plaque Simone-Veil. Si on refuse d’y voir une forme d’irrévérence d’Artus, l’explication la plus rationnelle devient alors celle d’un clin d’œil de l’Esprit saint.