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Vettius Æpagathus, le saint patron oublié des avocats

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Anne Bernet - publié le 01/06/24
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C’est saint Irénée lui-même qui raconte l’histoire de Vettius Æpagathus, jeune avocat qui osa prendre la défense des chrétiens de Lyon. Puni pour avoir fait son travail, il fut décapité, une exécution inédite dans l’histoire juridique de Rome… Il est fêté le 2 juin, comme Blandine, Pothin et leurs 46 compagnons, martyrs en l’an 177.

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Quand il s’agit des chrétiens, les autorités romaines, si attachées aux formes légales, deviennent moins pointilleuses et s’affranchissent des procédures normales. La communauté de Lyon, en cette fin de printemps 177, en sait quelque chose… Depuis Pâques, qui a coïncidé malencontreusement avec les fêtes des dévots de Cybèle, provoquant la fureur de ceux-ci, et une rafle massive parmi les fidèles, l’on n’a cessé de violer les lois sur le christianisme. Voici l’histoire de Vettius Æpagathus, jeune avocat qui osa prendre la défense des chrétiens de Lyon.

Depuis Néron, la législation n’a pas varié, se bornant à affirmer : "Il est interdit d’être chrétien." Condamnant à mort ceux qui pratiquent quand même la foi proscrite, les légistes, conscients de l’aberration d’envoyer des gens au bourreau pour un crime jamais défini et dont on soupçonne même l’inexistence, ont tout de même réussi à lui apporter quelques garde-fous. Idiots d’ailleurs. Ainsi peut-on arrêter les chrétiens dénoncés mais pas les rechercher, ce qui est absurde ; ils ne doivent pas servir de prétexte à émeutes et séditions ; on ne doit pas les interroger en dehors de la présence du représentant de l’empereur, ni traiter de même manière esclaves et hommes libres, citoyens romains et pérégrins. Or, depuis le début de l’instruction contre la communauté lyonnaise, rien de tout cela n’a été respecté, ce qui devrait invalider la procédure et valoir des sanctions aux magistrats mais ce n’est pas le cas car, pour scandaleux que cela soit, les chrétiens ne sont plus des sujets de droit et, s’agissant d’eux, l’on peut tout se permettre.

Un jeune homme se révolte

En ce début juin, alors que le légat impérial fait comparaître une fois de plus les prévenus, y compris ceux qui ont abjuré et que l’on a maintenus malgré tout en prison, imposant à tous une nouvelle séance de torture inutile, un jeune homme se révolte contre cet extravagant déni de droit. Appartenant à la bonne société gallo-romaine, de souche arverne, avocat, marié et père de famille, Vettius Æpagathus est une figure lyonnaise. Bon, serviable, charitable, toujours prêt à aider, plaidant gratuitement pour les pauvres, il est évident qu’il est chrétien mais les préjugés sont tels, les concernant, que l’on n’imagine pas qu’un aristocrate puisse se mêler à cette lie d’Orientaux, d’esclaves. Vettius n’a donc pas été inquiété lorsque ses frères ont été arrêtés. 

L’usage est ancré dans les églises : quand des chrétiens comparaissent et rendent témoignage, leurs coreligionnaires en liberté se doivent d’assister aux audiences, pour les soutenir et conserver trace de leur héroïsme. Cela explique la présence de Vettius. Il a beau n’avoir guère d’illusions sur le traitement réservé aux chrétiens, la procédure indigne le révolte, au point de le pousser à se lever et rappeler qu’en droit, tout accusé est assisté d’un avocat. Ce qu’il se propose de faire. Saint Irénée, probable auteur des actes des martyrs de Lyon, écrit : 

L’un de nos frères, Vettius Æpagathus, possédait la plénitude de l’amour envers Dieu et le prochain, et sa conduite était parfaite […] car il avait marché dans tous les commandements et les préceptes du Seigneur d’une manière irréprochable, toujours prêt à rendre service, ayant un grand zèle de Dieu et bouillonnant de l’Esprit. Étant tel, il ne supporta pas la procédure conduite contre nous et contre toute raison. Il en fut vivement exaspéré et réclama d’être entendu en faveur des frères pour démontrer qu’il n’y avait chez nous ni athéisme ni impiété.

Il se jette dans la gueule du loup

Le magistrat ne pouvant refuser de conseil aux accusés, force lui est de donner la parole à cet avocat connu venu se mêler de ce qui ne le regarde pas, sauf à croire qu’il soit complice de ces chrétiens soupçonnés d’inceste, cannibalisme et, pis que tout, de ne pas adorer les divinités officielles, ce qui leur vaut d’être traités d’athées. Qu’il se jette dans la gueule du loup, Vettius le sait : son intervention ne sauvera pas ses amis. Pourtant, soutenu par sa foi, il prend la parole et plaide, reprenant les arguments traditionnels des apologètes : les chefs d’inculpation sont un tissu d’insanités, les procédures à leur encontre une absurdité ridicule. Se passe alors ce qui ne s’est jamais vu dans aucun prétoire de l’Empire : le légat coupe la parole à la défense et lui interdit de poursuivre ce qui devient une plaidoirie en faveur de la liberté du culte chrétien. Irénée, présent, rapporte : 

Ceux qui entouraient le tribunal criaient contre Vettius, car il était un homme distingué ; quant au légat, il ne supportait pas la juste défense qu’il présentait. Il lui demanda : “Est-ce que toi aussi, tu serais chrétien ?” Ayant alors confessé sa foi d’une voix éclatante, Vettius fut aussitôt mis au rang des martyrs sous ce chef d’accusation : “Celui-là a voulu se faire le défenseur des chrétiens” car en effet, le Paraclet, le Défenseur, l’Esprit saint était en lui ; il le manifesta par la plénitude de son amour en se complaisant à prendre la défense de ses frères au risque de sa propre vie. Il fut ainsi, et demeure pour toujours un authentique disciple du Christ et suit l’Agneau partout où Il va.

Inédit dans l’histoire juridique de Rome

Priver la défense de parole en plein prétoire relève d’un droit d’exception, mais, pour les chrétiens, jusqu’à la fin des persécutions, il n’en existe pas d’autre. Quant à décapiter l’avocat pour le punir d’avoir fait son travail, c’est inédit dans l’histoire juridique de Rome… Ainsi Vettius, mort pour avoir respecté les règles de sa profession et fait passer son devoir et sa foi avant sa propre sauvegarde, mérite-t-il de partager avec le bon saint Yves le patronage des avocats.

Parmi ses descendants figure le saint évêque de Clermont-Ferrand au Ve siècle, Sidoine Apollinaire, qui revendiquera la gloire de posséder un tel aïeul. La famille de Sidoine s’étant continuée jusqu’au XIIe siècle où elle s’éteignit après s’être alliée à plusieurs familles royales, nombre de têtes couronnées et d’aristocrates européens descendent encore aujourd’hui, mais le savent-elles, du jeune martyr lyonnais. 

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