C’est un nouveau coup de massue pour l’enseignement privé sous contrat. Un rapport parlementaire coécrit par les députés Paul Vannier (La France Insoumise) et Christopher Weissberg (Renaissance) s’attaque frontalement au modèle du financement des établissements privés sous contrat, dont 96% sont catholiques. L’enseignement privé est ainsi pointé du doigt comme étant "hors de contrôle", non seulement sur le plan budgétaire, mais aussi pédagogique. Plus grave, il est même tenu pour responsable des inégalités grandissantes entre écoles privée et publique, en pratiquant notamment une "ségrégation socio-scolaire".
Face à ces constats particulièrement sévères, le rapport préconise 55 mesures pour réformer l’enseignement privé sous contrat. La moitié d’entre elles sont communes aux deux rapporteurs. Pour le reste, les propositions de l’Insoumis Paul Vannier présentent une radicalité qui n'est pas partagée par son collègue du groupe Renaissance, lequel se prononce pour un système de contrôle par la responsabilisation des acteurs privés. Si certaines mesures relèvent donc de la "bonne gestion publique" des finances, d'autres manifestent une véritable suspicion, si ce n'est une franche hostilité à l'égard du modèle de l'enseignement libre. Sur proposition de Paul Vannier, le rapport préconise ainsi de lourdes pénalités financières en cas d'éviction d'un élève, un malus financier pour les établissements perçus comme peu ouverts à la mixité sociale, ou même encore la suppression des négociations entre l'État et les têtes de réseaux, jugées contraires à la laïcité. La réalisation effective de ces mesures est pour l'instant largement hypothétique. Mais elles pourraient inspirer prochainement une proposition de loi, comme le souhaite déjà Paul Vannier.
La liste des propositions
Proposition n° 1 : Réécrire la circulaire du 15 février 2012 relative aux règles de prise en charge par les communes des dépenses de fonctionnement des écoles privées sous contrat afin de préciser la liste exhaustive des dépenses obligatoirement intégrées au calcul du coût moyen de la scolarisation d’un élève du public.
Proposition n° 2 : Exclure les dépenses consacrées par les collectivités territoriales aux établissements REP et REP+ (d'éducation prioritaire, ndlr.) du calcul du forfait d’externat versé par ces mêmes collectivités aux établissements privés sous contrat.
Proposition n° 3 de M. Vannier : Assurer la compensation intégrale par l’État des dépenses imposées à l’ensemble des communes par l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire à trois ans.
Proposition n° 4 de M. Vannier : Abroger l’article L. 442-5-1 du code de l’éducation, issu de la loi n° 2009-1312 du 28 octobre 2009 dite "loi Carle". [Cette loi dispose que les communes sont tenues de financer, dans certains cas précis, la scolarisation des enfants de leurs résidants dans l'école privée d'une autre commune, ndlr.].
Proposition n° 5 de M. Vannier : Abroger l’article L. 151-4 du code de l’éducation (issu de la loi dite "Falloux") autorisant les subventions d’investissement aux établissements privés du second degré d’enseignement général ; interdire explicitement ces subventions pour les établissements privés d’enseignement technique et professionnel (loi dite "Astier").
Proposition n° 6 : Prévoir un "jaune budgétaire" annuel retraçant le financement alloué aux établissements d’enseignement privés, y compris hors programme 139 [enseignement privé du 1er et du second degré, ndlr.].
Proposition n° 7 : Distinguer, dans les référentiels budgétaires et comptables des collectivités territoriales, les dépenses consacrées aux établissements privés sous contrats de celles consacrées aux établissements publics, d’une part, les dépenses consacrées aux établissements privés sous contrat obligatoires des facultatives, d’autre part.
Proposition n° 8 : Normer et rendre public le modèle d’allocation des moyens de l’État aux académies pour le financement des établissements privés, en faisant apparaître les différents critères et leur pondération.
Proposition n° 9 de M. Vannier : Maintenir le processus de contractualisation dans le cadre d’un dialogue exclusif entre l’État et l’établissement privé sous contrat requérant.
Proposition n° 10 de M. Vannier : Se conformer à l’article 2 de loi de 1905 : mettre un terme aux dialogues de gestion entre le ministère de l’Éducation nationale et les représentants de réseaux d’établissements privés désignés par des autorités religieuses.
Proposition n° 11 de M. Weissberg : Modifier le code de l’éducation pour y intégrer les organes têtes des différents réseaux d’établissements d’enseignement privés, confessionnels ou non, afin, d’une part, de préciser les critères permettant d’admettre leur caractère représentatif et, d’autre part, de définir et d’encadrer leur rôle, notamment dans le cadre de l’allocation des moyens.
Proposition n° 12 de M. Vannier : Formaliser et publier un processus d’allocation des moyens unique, commun à l’ensemble des établissements privés sous contrat, précisant son échéancier annuel.
Proposition n° 13 de M. Weissberg : Formaliser un processus de répartition des moyens unique, commun à l’ensemble des réseaux d’établissements.
Proposition n° 14 de M. Vannier : Préciser, au niveau législatif ou réglementaire les conditions quantitatives et qualitatives requises pour constater un "besoin scolaire reconnu".
Proposition n° 15 de M. Weissberg : Demander aux recteurs une vigilance particulière s’agissant de l’ouverture d’annexes, qui doivent s’inscrire strictement dans le respect du cadre fixé.
Proposition n° 16 de M. Vannier : Sauf autorisation du recteur, interdire toute ouverture d’annexe implantée à plus d’un kilomètre de distance de l’établissement à laquelle elle est rattachée.
Proposition n° 17 : Renforcer le contrôle du recteur sur les redéploiements de moyens au sein du réseau des établissements catholiques au regard du critère du besoin scolaire reconnu.
Proposition n° 18 : réaliser et diffuser une grille d’évaluation ad hoc pour les établissements privés dans le cadre de l’évaluation interne et externe organisée par le Conseil d’évaluation de l’école.
Proposition n° 19 : Prévoir un contrôle pédagogique ou administratif systématique par l’inspection d’académie ou l’inspection générale de l’éducation, de la recherche et du sport, lorsque l’évaluation par le Conseil d’évaluation de l’école fait apparaître une anomalie.
Proposition n° 20 : Rendre publics les rapports de l’IGESR portant sur l’inspection des établissements privés en intégrant, le cas échéant, le mémoire en réponse de l’établissement concerné.
Proposition n° 21 : Rééditer un guide pour l’inspection des établissements privés sous contrat par l’inspection générale de l’éducation, de la recherche et du sport.
Proposition n° 22 de M. Weissberg : Intégrer à la programmation annuelle des travaux de l’IGESR l’inspection systématique d’un ou deux établissements privés qu’elle serait habilitée à identifier elle-même.
Proposition n° 23 : Transformer l’obligation de transmission des comptes de résultats en obligation de transmission de documents plus étendus, permettant en particulier d’assurer la traçabilité des dépenses par rapport aux recettes qui les financent.
Proposition n° 24 : Étudier la possibilité d’intégrer la comptabilité des établissements privés au logiciel Op@le ; à défaut prévoir une centralisation et une dématérialisation de cette comptabilité.
Proposition n° 25 : Renforcer les missions d’audit des directions départementales des finances publiques en augmentant le nombre d’auditeurs.
Proposition n° 26 : Demander aux recteurs de transmettre, chaque année, aux directions départementales des finances publiques concernées une liste priorisée d’établissements privés sous contrat à auditer.
Proposition n° 27 : Rendre effective la mise en œuvre de la suspension des paiements en cas de manquements graves, prévue à l’article R. 442-21 du code de l’éducation, en transférant la responsabilité de la prise de décision au rectorat, ordonnateur des dépenses de l’État.
Proposition n° 28 : Modifier l’article R. 442-16 du code de l’éducation [sur le contrôle budgétaire des établissements, ndlr] pour le mettre en conformité avec l’évolution du régime de responsabilité des ordonnateurs et des comptables et mentionner de manière explicite la compétence des rectorats et des collectivités territoriales, ordonnateurs, en matière de contrôle de l’emploi des fonds publics qu’ils allouent aux établissements privés.
Proposition n° 29 de M. Weissberg : Modifier les articles L. 442-6 et L. 442-7 du code de l’éducation pour étendre à l’ensemble des subventions facultatives versées par les collectivités territoriales aux établissements privés l’obligation de faire l’objet d’une convention ; intégrer à cette convention la mention des objectifs pour lesquels la collectivité territoriale alloue des moyens et les modalités du contrôle tant de l’usage des fonds publics que de la réalisation des objectifs fixés.
Proposition n° 30 de M. Vannier : Prévoir la transmission annuelle des comptes présentés en conseil d’administration de l’association gestionnaire de l’établissement aux organisations représentatives du personnel.
Proposition n° 31 : Imposer aux établissements privés sous contrat de tenir une comptabilité analytique distinguant les charges selon les produits qui les financent.
Proposition n° 32 de M. Weissberg : Permettre aux collectivités territoriales d’assurer un fléchage et un contrôle du forfait d’externat plus important en prenant appui sur les dispositions de l’article L. 421-23 qui imposent aux chefs d’établissements du second degré public de mettre en œuvre les objectifs fixés par la collectivité territoriale de rattachement et de rendre compte de l’utilisation des moyens qui leur sont alloués à cet effet.
Proposition n° 33 de M. Vannier : Parité des financements, parité des politiques éducatives : flécher le forfait d’externat afin de garantir, dans les établissements privés sous contrat, un usage des fonds publics permettant de réaliser les finalités visées dans les établissements publics.
Proposition n° 34 de M. Vannier : Systématiser la prise en charge en nature en lieu et place de l’attribution d’une partie du forfait d’externat.
Proposition n° 35 : Permettre la conservation du statut de maître contractuel des personnels de direction du second degré sans la faire dépendre de l’exercice d’une charge d’enseignement.
Proposition n° 36 : Demander aux établissements mettant en œuvre un enseignement sous la forme de cours de 50 minutes de transmettre au rectorat un dossier comportant des éléments justifiant le choix opéré et présentant les modalités retenues pour assurer une compensation garantissant à chaque élève et pour chaque discipline le volume horaire auquel il a droit.
Proposition n° 37 : Expliciter dans le contrat d’association – le cas échéant par un avenant – les sanctions auxquelles exposent les manquements à ses dispositions, en prévoyant, selon la gravité des manquements, une gradation de plusieurs degrés pouvant conduire in fine à la rupture du contrat.
Proposition n° 38 de M. Vannier : élargir la faculté ouverte par l’article L. 442-10 du code de l’éducation de demander au préfet la résiliation d’un contrat d’association conclu avec un établissement scolaire aux groupes politiques siégeant dans les assemblées délibératives des collectivités mentionnées à l’article L. 442-8.
Proposition n° 39 : Rédiger un règlement intérieur des commissions de concertation prévues à l’article L. 442-11 du code de l’éducation lorsqu’elles sont réunies pour délibérer sur la résiliation du contrat qui lie un établissement privé à l’État. Ce règlement intérieur devra garantir les droits de la défense et préciser la liste des membres admis à assister et à participer aux débats.
Proposition n° 40 : Publier le compte rendu des débats des commissions de
concertation prévues à l’article L. 442-11 lorsqu’elles sont réunies pour délibérer
sur la résiliation du contrat qui lie un établissement privé à l’État.
Proposition n° 41 : Enrichir la plateforme de données prévue par le protocole du 17 mai 2023 conclu entre le ministère de l’Éducation nationale et le SGEC en y incluant les informations relatives aux modalités de sélection des élèves par chaque établissement et au taux de poursuite de scolarité au sein de l’établissement.
Proposition n° 42 de M. Weissberg : Rendre obligatoire la prise en compte de l’IPS dans le modèle d’allocation des moyens de l’État aux académies et dans la répartition infra-académique de ces moyens.
Proposition n° 43 de M. Vannier : Intégrer un mécanisme de malus diminuant la dotation en moyens d’enseignement des établissements privés sous contrat dont l’IPS est supérieur à la moyenne pondérée de l’IPS des établissements publics de même rang situés dans le secteur de carte scolaire où ils sont implantés.
Proposition n° 44 de M. Vannier : Intégrer un mécanisme de malus diminuant le montant du forfait externat des établissements privés sous contrat dont l’IPS est supérieur à la moyenne pondérée de l’IPS des établissements publics de même rang situés dans le secteur de carte scolaire où ils sont implantés.
Proposition n° 45 de M. Weissberg : Prévoir une disposition explicite dans le code de l’éducation permettant aux collectivités territoriales de moduler les montants du forfait d’externat en fonction de la mixité sociale et scolaire des établissements concernés.
Proposition n° 46 de M. Vannier : Pondérer l’allocation des moyens de l’État et des collectivités territoriales aux établissements privés en fonction d’un indicateur de mixité scolaire qui tienne compte, notamment, du taux de poursuite de scolarité dans l’établissement.
Proposition n° 47 de M. Weissberg : Inciter les collectivités territoriales à moduler les subventions facultatives allouées en fonction de la mixité sociale des établissements bénéficiaires.
Proposition n° 48 de M. Vannier : A défaut d’une suppression de l’article L. 151-4 du code de l’éducation, conditionner les versements de subventions facultatives par les collectivités territoriales à l’atteinte d’objectifs en matière de mixité sociale et scolaire.
Proposition n° 49 de M. Weissberg : Selon le modèle de la Belgique, mettre en place pour les établissements privés sous contrat qui reçoivent plus de demandes d’inscription qu’ils ont de places un indice composé de plusieurs critères notamment géographiques, pédagogiques et sociaux pour procéder au classement des demandes.
Proposition n° 50 de M. Weissberg : Soumettre tout refus de réinscription d’un élève en cours de cycle à autorisation du recteur ; pour les cités scolaires comprenant un collège et un lycée, demander au recteur une vigilance particulière sur le taux de poursuite de scolarité à la fin de la 3ème, le cas échéant en sollicitant des chefs d’établissements des éléments de nature à justifier un taux anormalement bas.
Proposition n° 51 de M. Vannier : Introduire un mécanisme de pénalité financière des établissements privés sous contrat pratiquant l’éviction des élèves les plus en difficulté sous la forme d’un montant remboursable à l’État de 10.000 euros par élève interdit de poursuivre son parcours scolaire au sein de l’établissement ou de la cité scolaire.
Proposition n° 52 : Étendre les dispositions du code de l’éducation relatives aux procédures disciplinaires applicables dans les établissements publics (articles D. 511-30 et suivants) aux établissements privés sous contrat, notamment l’existence d’une procédure d’appel devant le recteur.
Proposition n° 53 : Transférer la compétence du contentieux des procédures disciplinaires dans les établissements privés au juge administratif, déjà compétent pour les contentieux relatifs au redoublement et à l’orientation.
Proposition n° 54 : Prévoir un préavis minimal compatible avec le temps nécessaire à une réinscription dans un autre établissement pour la notification de non-réinscription dans l’établissement l’année suivante.
Proposition n° 55 : Sur le modèle du contrat d’objectifs prévu pour les établissements publics à l’article L. 421-4 du code de l’éducation, mettre en place un contrat d’objectifs et de moyens contraignant, renouvelé tous les trois à quatre ans, qui fixe de manière précise les objectifs en matière de mixité sociale et scolaire, les indicateurs associés et les moyens destinés à les mettre en œuvre, ainsi que les obligations d’application des politiques du service public de l’éducation et les sanctions associées en cas de non-respect allant jusqu’à la rupture du contrat.