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Arrivée au sommet, l’émotion est à son comble. Ce ne sont pas tellement ces derniers monticules de terre, gravis en courant et à toute vitesse qui me procurent une telle sensation. Mais plutôt la centaine de marches, les deux heures de voiture, les quatre heures d’avion, les six mois de préparation et les deux ans d’espoir de voir un jour ce lieu au caractère si précieux. Sevan, berceau de l’Arménie chrétienne, berceau du monde chrétien. Nichés dans ces montagnes au relief rugueux que la douceur du lac cherche à polir, les premiers moines arméniens ont prié, discerné et écrit.
Ils ont d’ailleurs dessiné l’écriture arménienne, ces lignes élégantes et complexes qui forment peu à peu des lettres, épousant parfaitement les différents sons de leur dialecte. Pourquoi l’ont-ils fait ? Leur vocation était de nourrir et entretenir la foi de leurs contemporains arméniens et cela en diffusant largement, bien avant l’Afrique et l’Europe, la bible et les textes saints. Conscients de la haine que leur statut de chrétiens allait susciter, conscients de leur vulnérabilité face aux pays arabes placés à proximité, ils ont eu confiance dans le fait que la Foi peut constituer un réconfort et une résistance.
C’est cette même Foi qui, plus de mille ans après, anime toujours les Arméniens. De leur Royaume mainte fois attaqué, éclaté, éparpillé, il ne reste presque plus rien. Invasions arabes, ottomanes, génocides, soviétisme et guerres multiples, l’Arménie est la proie perpétuelle de ses voisins. Et pourtant, est-ce cette fameuse résistance spirituelle qui explique qu’elle soit encore là ? Une superficie considérablement réduite, une société dramatiquement appauvrie, une population largement éparpillée et toujours en exode aujourd’hui, voilà ce qu’il reste de l’Arménie.
Une tradition religieuse inébranlable
Mais aussi une tradition religieuse inébranlable, avec une liturgie d’une beauté ineffable (bien que parfois austère), héritée de leurs pères, de Sevan et de ses monastères, dont les arméniens se savent infiniment redevables et fiers. Cette foi nourrit leur civilisation et leur anthropologie. Elle est à l’origine de leur immense sens de la fraternité, de la solidarité, et de la famille. Sans être totalement dénués d’incohérences, les arméniens considèrent la prière comme la source intarissable de leur Espérance.
Il ne faut pas être naïf, c’est précisément pour cette religion chrétienne que l’Arménie a été, est, et sera attaquée. Au-delà de l’Arménie, c’est toute la chrétienté que ce premier pays évangélisé a engendrée, qui est aujourd’hui gravement visée. La Turquie, associée aux Azéris, a exprimé dans une très grande clarté son intention d’achever le génocide en Arménie, puis d’attaquer l’Europe et derrière elle de s’en prendre à l’Occident chrétien.
Cette haine de la chrétienté est la haine du Christ, et de Sa Croix. Voilà pourquoi nous en sommes là. Tant qu’il y aura des chrétiens, il y aura du combat. Car ce n’est pas qu’une guerre contre l’Arménie, c’est une guerre contre notre Foi, dont les premiers chrétiens paient en premier le prix, "avec un des larmes et un grand cri" (He 5, 7-10).
L'espérance de l'Arménie
"Regarde, de l’autre côté du lac, ce sont les azéris", me murmure au creux de l’oreille une religieuse qui m’accompagne. Mon cœur passe de l’émerveillement à la peine, de l'envoûtement pour l’architecture des monastères au constat attristant de la proximité de la guerre, de la prière reconnaissante pour la beauté de ce pays à la prière fervente pour qu’il ne soit pas détruit.
Assise à même la pierre, je contemple de manière intense et silencieuse ce lieu où règne encore, pour le moment, une paix précieuse. Et je me laisse surprendre par une invincible Espérance.
Cette Espérance est pour les Arméniens d’Arménie, les Arméniens de France (ayant autrefois trouvé refuge dans la cité phocéenne de Marseille que le Pape a visité ces derniers jours) mais aussi pour mon pays et pour tous ceux qui partagent cette croyance : "Notre seule fierté est la Croix de Jésus-Christ" (antienne de la Croix Glorieuse).