L’engagement dans la vie religieuse est une folie pour monde. Qu’il s’agisse des "consacrés" ou des "religieux" proprement dit, ceux qui choisissent de vivre les "conseils évangéliques" de manière radicale, ne sont pas pour autant des chrétiens atypiques ou séparés. Pour le frère François-Marie Humann, la dynamique de la conversion du chrétien est la même pour tous, religieux ou laïc. En expliquant le sens de la consécration à Dieu, le prémontré invite à découvrir que "tout baptisé est appelé à suivre le Christ pauvre, chaste et obéissant". Méditer le choix de vie des religieux, c’est éclairer et stimuler la vie chrétienne de tous les baptisés.
Aleteia : Comment les "conseils évangéliques" de pauvreté, de chasteté et d’obéissance s’adressent-ils à tous les baptisés, même si tous ne sont pas appelés à les vivre de manière radicale ?
Fr. François-Marie Humann : La profession religieuse n’est pas considérée dans l’Église comme un nouveau sacrement, à la différence du mariage ou de l’ordination. Elle est un appel particulier du Seigneur, mais qui s’enracine dans la vie baptismale. Elle éclaire donc la vocation de tous les baptisés. Par ailleurs, les conseils évangéliques sont une voie pour lutter contre la tentation de l’idolâtrie, qui concerne tout le monde et pas seulement les religieux. Ainsi le vœu de pauvreté met en garde contre l’idolâtrie de l’accumulation de richesse, qui nous menace tous dans notre société de surconsommation. Le vœu de chasteté met en garde contre l’idolâtrie de la jouissance, qui est aussi une forte tentation dans une société qui semble oublier la valeur du renoncement, du sacrifice et d’un juste partage des biens. Le vœu d’obéissance met en garde contre l’idolâtrie de la toute-puissance, qui sévit dans un monde où la loi du plus fort demeure si tenace, que ce soit dans le monde politique et économique mais aussi en éthique, comme on le voit par exemple avec la tentation de mainmise sur l’origine et la fin de la vie humaine.
Nous devons savoir que la vigilance et le combat spirituel font partie de la vie des chrétiens. Le martyre n’appartient pas seulement au passé, bien des chrétiens dans le monde sont aujourd’hui persécutés à cause de leur foi.
Pour vivre la petitesse et l’humilité requises à l’entrée dans le royaume de Dieu, vous mettez en parallèle le mariage et le célibat consacré : comment ces deux voies sont-elles comparables ?
Je souligne le lien qu’il y a entre le mariage et le célibat consacré précisément sur ce point de la petitesse et de l’humilité, la voie de l’enfance spirituelle développée par sainte Thérèse de Lisieux. Pour mener une vie conjugale selon le cœur de Dieu, il faut apprendre à sortir d’une logique de domination et de séduction pour entrer dans la voie de la confiance mutuelle et de l’amour. Pour cela, il faut se reconnaître petit devant Dieu et l’un devant l’autre, dans le mariage.
Nul ne peut échapper au combat spirituel, qui nous permet aussi de nous ouvrir davantage au Christ pour qu’il soit victorieux du mal en nous.
Le célibat consacré implique lui aussi l’acceptation d’une forme de petitesse et d’humilité, celle de ne pas avoir d’enfants, de ne pas pouvoir se prolonger soi-même dans les générations suivantes. À une époque où le statut social du prêtre ou du religieux est fortement dévalué, le célibat consacré représente une réelle vulnérabilité, à laquelle il faut consentir. Cet état de vie implique une grande confiance en Dieu, une attitude d’humilité pour croire que Dieu est assez grand pour donner à une vie humaine sa fécondité et son bonheur. En fin de compte, comme nous l’expérimentons souvent, les religieux (ou les prêtres) et les couples mariés peuvent se soutenir mutuellement dans la fidélité à leur engagement.
La vie du chrétien s’expose à des menaces et des égarements dont seules la prière vigilante et l’obéissance au Christ nous protège : pourquoi ?
Les jeunes générations de chrétiens en font l’expérience : le monde dans lequel nous vivons ne les soutient pas dans leur foi et dans leur vie morale. Au contraire, mener une vie authentiquement chrétienne aujourd’hui implique d’accepter souvent d’être à contre-courant de la société. Nous devons donc savoir que la vigilance et le combat spirituel font partie de la vie des chrétiens. Le martyre n’appartient pas seulement au passé, bien des chrétiens dans le monde sont aujourd’hui persécutés à cause de leur foi.
Pour être témoins, nous devons accepter d’être toujours dépassés par le mystère que nous annonçons.
De manière plus fondamentale encore, la vie chrétienne est exposée aux tentations et aux égarements, comme toute vie humaine, à cause de cette blessure qui traverse toute existence et qu’on nomme le péché originel. Nous ne nous orientons pas spontanément vers le bien, nous sommes tentés par le mal, qui souvent prend des apparences de bien. La frontière entre le bien et le mal passe par notre propre cœur. Nous avons donc besoin du Salut du Christ, lui qui nous offre le pardon de nos fautes mais aussi la grâce de lutter contre le mal et de recevoir en nous sa propre vie, sa propre sainteté. Le Démon lutte contre tout être humain qui tend vers le bien et cherche à le faire tomber. Bref, nul ne peut échapper au combat spirituel, qui nous permet aussi de nous ouvrir davantage au Christ pour qu’il soit victorieux du mal en nous.
Un chrétien qui n’est pas en mission n’est pas un chrétien : en quoi la mission et la pauvreté évangélique sont-elles deux réalités inséparables ?
En méditant sur l’envoi des disciples deux par deux par Jésus, chez saint Marc, j’ai mieux perçu combien la pauvreté à laquelle le Christ nous appelle est vraiment liée à l’annonce de l’Évangile et au témoignage que nous devons rendre au Christ. Pour être témoins, nous devons accepter d’être toujours dépassés par le mystère que nous annonçons. Or si nous possédons beaucoup, nous risquons de nous appuyer sur nous-mêmes, de nous prêcher nous-mêmes pour ainsi dire. Dans la vie religieuse, la vie communautaire est par elle-même évangélisatrice, car elle témoigne du Seigneur qui nous a appelés, qui nous garde unis les uns aux autres, malgré de grandes diversités entre nous. Les apôtres, envoyés deux par deux, sans rien pour la route, font l’expérience de la Providence. Leur confiance en Dieu n’est pas déçue. La vie religieuse veut témoigner dans le monde d’aujourd’hui et au cœur de l’Église de cette Espérance qui ne déçoit pas. La vie religieuse prend ainsi au sérieux la question de Jésus : « Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme ? »
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.