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La Modernité nous a donné le goût du contrôle, de la maîtrise de toute chose. Le vrai bonheur consiste à goûter les différentes dimensions de la réalité comme des dons ou des grâces plutôt que comme des objets sur lesquels faire main basse. Dieu est foncièrement généreux. Il a donné à l'homme, sa créature, une telle dignité que la tête a fini par lui tourner. L'homme s'est pris pour Dieu ! Au lieu d’attribuer son excellence à la munificence du Créateur, la créature a cru dans sa présomption que cette excellence était son fait ! Toutefois, combien de démentis la réalité apporte-t-elle à cette prétention ! L'homme sent bien qu'il n'est pas Dieu et qu'il n'est pas capable de Lui commander. Mais son Créateur n'est pas la seule réalité dont il n'est pas maître. Il ne contrôle ni ses semblables ni le temps qui lui échappe et le conduit vers la mort. Pourtant, dans sa folie, l’homme ne désarme pas. De toute force, dans son orgueil vertigineux, il désire toujours se rendre maître de ces trois réalités qui lui échappent. Comment procède-t-il pour y parvenir ?
Trois tentatives suicidaires de maîtrise des réalités
Se rendre maître de Dieu
L’homme s’y essaye soit par la magie ou bien par le moyen d’une pseudo-science occulte. Mais le plus souvent, c’est la tentation de prendre la place du Créateur à laquelle il succombe. Autre solution plus sournoise : devenir le créancier de Dieu en demandant rétribution pour les œuvres que l’homme accomplit. Dans ce cas de figure, la créature croit avoir barre sur le Créateur en rendant Celui-ci son débiteur ! Projet risible mais plus courant que l’on pense.
Se rendre maître de son prochain
L’homme, réalité potentiellement infinie à l’image du Créateur, échappe à ses semblables par sa liberté et son esprit. Aussi le désir de se rendre maître de son prochain est-elle une tentation démoniaque, contraire au dessein de Dieu mais aussi à la constitution de l’être humain. L’homme travaille à y parvenir par l’esclavage, la manipulation mentale, religieuse ou idéologique, le trafic d’êtres humains, l’exploitation économique.
Se rendre maître du temps
Le temps nous file entre les mains. Les tentatives de s’en rendre maître sont elles aussi les signes d’une bouffée démoniaque. La légende de Faust en est l’illustration. Faust passe un pacte avec le diable afin de retrouver jeunesse et vivacité d’esprit. De nos jours, le transhumanisme nourrit le projet fou de retarder ou de repousser indéfiniment la mort, voire de la vaincre avec le secours de technosciences, quand il ne caresse pas le projet d’« augmenter » l’humain.
Foi, espérance et charité, antidotes à l’orgueil
Face à ces tentatives de contrôles insensées, la sagesse chrétienne produit des antidotes puissants qui, loin de contrecarrer notre liberté, la dilatent au contraire. D’abord, la foi nous permet d’accueillir la nouveauté toujours recommencée de Dieu. Le Créateur est infini : pourquoi vouloir s’en rendre maître ? C’est plutôt Lui qui nous initiera à la vraie liberté qui est d’aimer avec toujours plus d’intensité. Hors de cet amour, tout désir de vouloir dominer l’infini est promis au sort de la grenouille de la fable de La Fontaine qui voulut devenir un bœuf : elle finit par éclater.
La charité nous délivre du désir démoniaque de nous rendre maîtres de nos semblables. Et par la même occasion de tomber en esclavage nous-mêmes, car tôt ou tard, ce que nous faisons subir à notre prochain deviendra notre lot ! La charité est un puissant levier pour briser les chaînes de nos frères et sœurs parce qu’elle nous fait comprendre qu’ils sont les premières richesses que Dieu nous dispense. Mon prochain, avant d’être un concurrent ou un obstacle, représente d’abord un cadeau de Dieu. Aussi, la charité désire-t-elle le délivrer de ses servitudes car la vraie joie consiste à redonner le bonheur aux autres. « Être capable de trouver sa joie dans la joie de l’autre, voilà le secret du bonheur » (Bernanos). Et que dire de la joie qui naît des rencontres imprévisibles et dont nous ne mesurons l’importance qu'après-coup ! Si bien qu’à propos de ces circonstances sur lesquelles nous n’avions aucune prise, nous pouvons dire comme Jacob : « Dieu était là et je ne le savais pas ! » (Gn 28,16).
Envisagé à la lumière divine, loin d’être une malédiction, le temps constitue plutôt une grâce.
Enfin, l’espérance nous dit que la mort n’aura pas le dernier mot. Jésus l’a vaincue le Jour de Pâques. Le temps, dans sa face négative et destructrice, est déjà une réalité que le chrétien domine grâce au salut du Christ. De plus, par son côté positif, le temps nous permet de progresser en charité. Il est aussi la manifestation de la miséricorde de Dieu. Dieu nous fait la grâce du temps, du devenir, afin que nous nous convertissions, que nous nous pardonnions réciproquement les uns les autres et nous réconcilions entre nous. Envisagé à la lumière divine, loin d’être une malédiction, le temps constitue plutôt une grâce. Point n’est besoin de s’en rendre maître : il suffit de saisir ses opportunités pour aimer davantage et se convertir tant qu’il est encore… temps !