Lorsque j’ai vu arriver le "buzz" autour des vidéos de la jeune Olympe, je n’ai pas voulu aller voir. Pourquoi ? Je ne sais pas vraiment. Me protéger d’un nouveau crève-cœur ? Sûrement. La simple vision de son visage angélique, magnifique, associé à l’évocation de ces mots : "suicide assisté – Belgique", c’était déjà trop. Puis l’on m’a invitée à prendre ma plume sur ce sujet. Alors Olympe, je suis allée vous écouter. Vous regarder. Et comme des milliers de personnes, votre histoire m’a bouleversée.
En parler ou pas ?
Je me suis questionnée. En parler ? Choisir un sujet plus léger, par facilité ? Écrire. Mais écrire quoi ? Se taire ? Et puis j’ai senti qu’il fallait le faire, même si la compassion qui me saisit me fait perdre mes mots, même si la souffrance convoque toujours quelques notes de silence, même si la peur de la maladresse m’envahit. L’onde de choc qui a suivi sa vidéo, supprimée depuis, a engendré de nombreuses réactions, médiatiques bien sûr, mais surtout des centaines de commentaires, dont certains ont pu blesser la jeune youtubeuse de 23 ans. C’est pourquoi Olympe a demandé que plus personne ne débatte ni même ne parle de ce qu’elle a annoncé, dont la portée lui a échappé. En les parcourant pour mieux comprendre, j’ai été sidérée par la quantité de personnes qui expliquent froidement que personne ne serait autorisé à dire — et donc à penser ? — quoi que ce soit et que ceux qui partagent leur émotion, contestation, ou quelque réaction que ce soit sont tout simplement "égoïstes". Stupéfiant "retournement de l’égoïsme"… J’ai relevé, par exemple : "Vous vous prenez pour qui à donner votre avis sur la vie de quelqu’un alors que ça ne vous concerne pas et que ses décisions ne vous impacteront jamais ?" ou encore : "Rien ne devrait vous autoriser à débattre de la décision d’Olympe. Une telle décision n’est pas faite pour donner matière à vos discussions éthérées sur une situation ainsi qu’une personne que vous ne connaissez pas."
La souffrance nous oblige
Outre ce paradoxe des réseaux sociaux où chacun pourrait exposer sa vie, son ressenti, jusqu’à son intimité, pour ensuite exiger des autres de n’en rien dire ni penser, comment ne pas voir dans ces injonctions à se bâillonner l’image du summum d’individualisme auquel aboutit la modernité ? Une telle violence d’indifférence ne serait-elle pas à mettre dans le même paquet de laideurs que celles qu’a subies la jeune fille ou que celles des déficiences de soins ou de soutien qui l’ont visiblement laissée bien trop seule sur son chemin ? Comme le journaliste Jean-Pierre Denis, je me demande "ce qu’il s’est passé pour que les médias passent brusquement de leur engagement pour la prévention du suicide chez les jeunes à une forme de “peoplisation” de la mort assistée". Mais désormais publique, la souffrance qu’elle dévoile nous oblige. Et nous regarde. Pas seulement parce que personne ne s’en sort tout seul. Mais parce qu’elle n’est pas tombée sans que d’autres ne l’aient poussée ou n’aient détourné les yeux. Et elle n’a poussé la porte du suicide assisté que parce que d’autres, avant elle, l’ont inventé, promu, organisé… Et par la même, ont gangrené notre société avec cette désespérante idée que certaines vies ne valent plus la peine qu’on se batte pour elles, et qu’on devrait les assister pour en finir. Même quand on a, comme elle, la vie devant soi.
La souffrance, la maladie, le suicide, la mort ne sont pas qu’individuels, ils ont un impact social, collectif. Ce qui serait égoïste serait de ne pas réagir. Ce n’est pas le cas. L’encéphalogramme de la société n’est donc pas encore plat. Il me semble que si personne n’osait plus ouvrir la bouche, on serait fichus. Devant nous se dresse à nouveau un dramatique exemple de cet abîme où conduit l’anti-modèle belge — que certains aimeraient importer en France. Comment ne pas repenser ici à Shanti De Corte, morte à seulement 23 ans ? Un suicide assisté a été accordé l’an dernier à cette jeune femme rescapée de l’attentat de Bruxelles, qui souffrait depuis lors d’un syndrome traumatique. "Quel exemple catastrophique pour d’autres personnes désespérées et pour toutes celles — leurs proches, leurs soignants — qui se battent courageusement pour retrouver le goût de la vie", explique Tugdual Derville dans Docteur, ai-je le droit de vivre encore un peu ? L’euthanasie et le suicide assisté démasqués qui vient de paraître (Salvator).
Son "aidez-moi à bientôt mourir" est à entendre comme "aidez-moi, je ne parviens pas à vivre".
La main qui se tend
On constate que là où la porte sur le vide du suicide assisté et de l’euthanasie s’est ouverte, les situations ne se limitent jamais longtemps aux personnes en toute fin de vie, mais se propagent aux maladies psychiques, handicaps, aux enfants, et même aux personnes souffrant de précarité, comme au Canada. Rien n’arrête une chute à partir du moment où on a commencé à sauter… Quel nom donner à une société qui n’aurait rien de mieux à proposer que cette absolue-non-réponse-au-goût-de-néant à des personnes en souffrance psychologiques ou atteintes de maladies mentales ? Je ne sais pas. Mais cela rime avec inhumanité. On ne peut pas changer leur passé. Mais n’y a-t-il rien ni personne qui ne puissent changer leur avenir ? Pour le psychanalyste Christian Flavigny, face au jeune qui souffre, "prétendre l'assister en déclenchant sa mort à la raison qu'elle va apaiser sa souffrance, c'est ne pas saisir la main désespérée qu'il nous tend". Son "aidez-moi à bientôt mourir" est à entendre comme "aidez-moi, je ne parviens pas à vivre". Les personnes en souffrance ont besoin qu’on les aide à vivre, pas à mourir.
Olympe a laissé la porte ouverte, elle a confié : "J'ai encore envie de vivre plein de choses." Elle sait que quelque chose dans sa vie peut se produire et la fasse changer d’avis. Prions pour qu’elle trouve sur son chemin le soutien dont elle a besoin. Et pour que notre pays nous prémunisse de jamais sombrer devant de telles lois.