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La statuette à l’effigie de sainte Cécile, la patronne des musiciens, est bien seule sur la console. Le bois luit comme s’il venait d’être ciré. La jeune femme se tient debout contre un guéridon sur lequel est posé un petit orgue. Les doigts de la musicienne effleurent les touches du clavier. L’autre main dissimulée derrière l’instrument doit actionner le mécanisme de la soufflerie. Un volume, curieusement, est ouvert sur la tablette. Sans doute un livret de partition. À quoi peut-il servir puisque l’on dit que Cécile était aveugle ? Léandre sait tout cela car son père le lui a appris. Le jeune garçon rêve de voir s’animer le petit personnage en bois et l’entendre jouer un air qu’il pourrait, lui, interpréter ou accompagner avec son cornet. Car Léandre, malgré son jeune âge, joue du cornet. Il ferme les yeux, tentant d’imaginer une mélodie. "Maman me donnera des idées, se dit-il. Elle écoute de la musique toute la journée." Le garçon se penche à nouveau vers Cécile : "Ne pourrais-tu pas m’aider ?" lui demande-t-il. Elle demeure muette bien sûr. Dans son for intérieur, il pense l’entendre lui dire d’une voix cristalline, une voix de soprane, juge-t-il, qu’il devrait chercher un chant de Noël et vraiment l’adapter à son cornet. Il hausse les épaules, se moquant de lui-même.
Il met tout son souffle dans l’embouchure
Les guirlandes clignotent déjà dans le salon ; mais la crèche n’est pas tout à fait dressée. Cela, c’est le travail de Bô-Maman. Elle sort chaque année, du placard de sa chambre, des boîtes et des boîtes dont elle retire des santons et des santons. Plus de deux cents ont compté les petits-enfants. Et aussi des maisons et des décors, des fontaines et des arbustes, sans oublier l’étable et même un cagadou, vous savez ce lieu qui… ce qui fait bien rire tout le monde. Un petit monde, en somme, glissé dans l’âtre de la cheminée et qui déborde tout autour. Léandre avise une pile de CD. Des Christmas carols ! Non, cela ne conviendra pas. Il tourne dans la pièce, regarde les dos des livres dans la bibliothèque de Grand-père, cherchant un titre qui pourrait l’aider dans sa recherche. Il finit par sortir et aller chercher son cornet.
Il joue, met tout son souffle dans l’embouchure. Les notes sortent timidement du pavillon, hésitent, reviennent puis glissent harmonieusement autour de sainte Cécile. Ne semble-t-elle pas ravie ? À nouveau le garçon croit l’entendre lui dire : "Demande donc à Aliénor, ta sœur, de se joindre à toi avec sa clarinette ; et demande à tes cousins Philippine et Raphaël d’apporter leur piano.
— Et les petits ? demande Léandre, comme s’il avait une véritable conversation avec Cécile.
— Baste ! dit cette dernière, Armel, le fort, marquera la cadence et Victoire chantera, je sais qu’elle a une jolie voix.
— Reste Côme ?
— Il est le plus âgé, même s’il a deux mois de plus que toi, et donc, il sera le chef d’orchestre."
Tourelourirette, Lanladirette
Léandre est stupéfait, il n’aurait jamais songé organiser un orchestre avec tous ses cousins. "Maman, maman !" hurle-t-il en se dirigeant vers sa chambre… Et le soir de Noël, devant la grande crèche, face aux oncles, tantes, et les grands cousins réunis, les enfants, disposés en arc de cercle, interprètent la chanson intitulée… As-tu cher Léandre, qui annonce "Bergers, qu'on s'assemble / Au signal donné, / Pour aller ensemble / Saluer, / Tourelourirette/ Saluer/ Lanladirette, / Le Roi nouveau-né." C’était bien évidemment Grand-père qui avait découvert ce chant traditionnel et sa partition.
Sainte Cécile qui avait quitté sa console avait peut-être ouvert les yeux et donné toute sa puissance aux jeux de son orgue. D’ailleurs, n’avait-on pas entendu juste à la fin des notes lancées par les instruments des enfants, un accord supplémentaire, une note joyeuse ?