« Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. » C’est par ces mots que se concluait, dimanche dernier, la parabole du
pharisien et du publicain (Lc 18, 14). Mais ce pourrait être aussi l’introduction de l’évangile de ce dimanche (Lc 19, 1-10), où la parabole cède le pas à une rencontre véritable, pleine de montées et de descentes. Et ce n’est sans doute pas pour rien que la scène se passe à Jéricho, cette cité des profondeurs, puisqu’elle a la particularité d’être la ville la plus basse du monde, à 240 mètres sous le niveau de la mer : une ville pour ainsi dire sous terre, comme le Shéol, le lieu des morts dans la foi juive, là où les défunts sont loin de Dieu.
La quête de Zachée
Si Jéricho, de par son altitude, ressemble à une ville des morts, il y en a un qui est plus mort que les autres : Zachée, qui a le titre d’architélonès, le chef des collecteurs d’impôts, et qui est archi-riche et surtout archi-mort intérieurement. Sans vouloir faire de la psychologie de comptoir, on peut imaginer que sa petite taille lui a valu un certain sentiment d’humiliation et l’a poussé à prendre sa revanche sur la vie, en faisant payer ses concitoyens — au sens propre comme au sens figuré. Il s’est élevé à la force du poignet. Il a bien réussi, au prix de la haine de tous, qui ne l’appellent plus par son prénom, mais seulement par son défaut : il n’est plus à leurs yeux qu’un pécheur. Et Zachée, à la longue, s’en est accommodé.
Jésus abaisse Zachée, en lui demandant avant tout de redescendre : de son arbre, de son piédestal social, de sa vie autocentrée. « Qui s’élève sera abaissé », pour son bien.
Zachée est habitué à s’élever par lui-même, et on ne s’étonnera pas de ce qu’il choisisse de s’élever encore, dans les branches d’un sycomore, pour voir Jésus qui va passer : de cet observatoire, il peut être au-dessus de la foule, la surveillant et la surplombant comme il aime à le faire ; il profite aussi de la ramure pour s’y cacher, à l’abri des quolibets. Voir sans être vu : habile stratagème. Mais il faut regarder de près ce que saint Luc écrit des motivations de Zachée. Zachée ne veut pas « voir Jésus », mais, dit l’évangile, « il cherchait à voir qui est Jésus » (Lc 19, 3). Ce n’est pas de curiosité mondaine qu’il s’agit ici, mais de quelque chose de plus fondamental : il y a dans le cœur de Zachée une quête, qui porte sur l’identité de Jésus : qui il est lui-même, qui il est pour Zachée. Monter dans le sycomore, ce n’est donc pas pour lui venir au spectacle en préférant une loge à un fauteuil d’orchestre : c’est désirer comprendre quel est le mystère de Jésus qui vient et qui passe.
Le salut pour cette maison
Revenons à la fameuse maxime : « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. » Elle insiste sur l’articulation entre deux initiatives : l’initiative humaine (s’élever soi-même, s’abaisser soi-même) et l’initiative de Dieu, sous-entendue par la forme passive (être abaissé, être élevé). Jusqu’alors, c’est Zachée qui a été le seul maître de sa vie, au détriment de quiconque se mettait sur son chemin. En un instant, d’un regard, c’est Jésus qui prend la main. Il s’invite chez Zachée, avec une autorité pleine de douceur, soulignant l’urgence de cette visite : c’est aujourd’hui, et pas demain. Il abaisse Zachée, en lui demandant avant tout de redescendre : de son arbre, de son piédestal social, de sa vie autocentrée. « Qui s’élève sera abaissé », pour son bien.
« Qui s’abaisse sera élevé », pour sa gloire. Et Zachée, sans que Jésus lui ait demandé quoi que ce soit, prend la parole : il donne aux pauvres la moitié de ses biens, et sur ce qu’il reste, il entend dédommager au quadruple ceux qu’il a volés. Jésus n’a rien réclamé à Zachée, pas même sa conversion : mais par le simple fait qu’il est venu habiter dans sa maison (le bâtiment), sa présence a irradié et tout transformé sur son passage : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison » (Lc 19, 9) — et la maison de Zachée, c’est la totalité de sa vie. C’est Zachée tout entier qui, en s’abaissant, est bel et bien sauvé, à la surprise et à la confusion des gens bien de Jéricho et de notre assemblée. Et Jésus, comme dimanche dernier, conclut lui-même l’évangile. Zachée cherchait à voir qui il était, et Jésus énonce son identité : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (v. 10).
Dieu seul abaisse et élève
Peut-être, parmi nous, n’y a-t-il pas beaucoup de Zachée : pas de grands escrocs, de mafieux, de criminels, de pécheurs publics. Tant mieux, nous dirons-nous. Nous essayons vaille que vaille de vivre honnêtement. Mais cet évangile nous est donné pour que nous n’oublions pas que c’est Dieu seul qui abaisse et qui élève. Si c’est seulement par la volonté et la vertu que nous menons notre vie, serons-nous capables du même désir que Zachée de voir qui est le Christ, et serons-nous disposés à accepter son initiative dans notre vie, qui ira peut-être contre nos plans de carrière et contre nos idées fixes ? Le Seigneur passe, aujourd’hui même, et nous répète : « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. » Et c’est à chacun de nous qu’il parle !