Le personnage de Marie-Madeleine ne cesse, depuis près de deux mille ans, de bouleverser et d’interroger. Il n’est pas question d’entrer dans les débats infinis, très doctes, parfois passionnants parfois iconoclastes, qui divisent les spécialistes : faut-il savoir s’il y a, dans les évangiles, une, deux, trois Marie confondues ensuite à partir du VIe siècle et du pape Grégoire le Grand en un seul personnage féminin récapitulant plus ou moins tous les a priori positifs ou négatifs prêtés à l’Église concernant les femmes ? La figure de la Madeleine, telle que la Tradition l’a transmise aux fidèles, possède ainsi une certaine plasticité. Si les critiques actuels, à la différence de Grégoire Ier, tendent à la différencier absolument de Marie de Béthanie, la sœur de Marthe et de Lazare, voire même de la pécheresse qui vient, chez Simon le pharisien, couvrir de ses larmes les pieds du Christ avant de les essuyer de sa longue chevelure défaite, ils l’assimilent plus volontiers à la "femme possédée par sept démons" que Jésus délivre, sans que nous comprenions fatalement bien, paraît-il, ce qu’il faut entendre par les notions de possession et de démons… Tout cela, en vérité, relève de discussions d’écoles qui finissent par troubler les simples que nous devrions être dans leur foi, sans rien apporter d’essentiel car l’important, définitivement, est ailleurs.
L’apôtre des apôtres
Qui que soit réellement Marie de Magdala, femme de mauvaise vie repentie ou pas, sœur de Lazare et de Marthe ou pas, et ainsi de suite, elle est avant tout cette femme qui "ayant beaucoup aimé a été beaucoup pardonnée", présente avec Notre Dame au pied de la Croix, la première au tombeau le troisième jour, bouleversée de trouver vide le sépulcre et qui se met en quête de son Seigneur, se méritant d’être la première, exceptée sa Mère, à revoir Jésus vivant. Témoin de la Résurrection, nouvelle folie divine puisque la parole d’une seule femme n’est pas recevable en droit juif, Marie de Magdala, la contemplative, l’éplorée, l’aimante, devient ainsi la messagère de la Bonne Nouvelle, l’apôtre des apôtres, Apostola apostolorum.
Les Églises orientales affirment, et ce n’est pas impossible, que Madeleine serait alors partie avec Marie et saint Jean, pour Éphèse, où elle aurait fini ses jours.
Qu’est-il advenu d’elle ensuite ? Force est d’admettre que les Écritures ne nous en disent rien, mais il y a tant d’autres choses que nous aimerions savoir sur lesquelles elles restent muettes… Il faut alors s’en remettre à la Tradition. Les historiens admettent en général que Marie, comme les disciples et une bonne partie de la communauté judéo-chrétienne, a quitté Jérusalem vers 45, en raison de la persécution d’Hérode au cours de laquelle Jacques, le frère de Jean, a été exécuté et Pierre emprisonné avant d’être miraculeusement libéré par un ange. Les Églises orientales affirment, et ce n’est pas impossible, que Madeleine serait alors partie avec Marie et saint Jean, pour Éphèse, où elle aurait fini ses jours et aurait été enterrée, puis ses reliques, comme tant d’autres, emportées à Constantinople.
Abandonnés en pleine mer
Cette affirmation a longtemps fait bondir les catholiques, et d’abord ceux de Provence. Une autre tradition, en effet, moins moquée actuellement qu’elle a pu l’être un temps, associe en effet Madeleine, identifiée, à tort ou à raison à Marie de Béthanie, à l’histoire des saintes Marie de la mer et de leurs compagnons. Donc, vers l’an 45, Lazare, que son statut de ressuscité rend passablement encombrant, ses deux sœurs, leur servante Sara, leur ami Maximin, Marie Cléophas et Marie Salomé, arrêtés en Judée sont embarqués sur un frêle esquif sans voiles ni gouvernail et abandonnés en pleine mer, façon subtile de se débarrasser d’eux sans avoir à les tuer, la Méditerranée se chargeant de faire disparaître le petit groupe de gêneurs. Or, le Ciel étend sur la barque sa protection et les déportés atteignent le rivage provençal sans aucun mal. Des gens savants diront qu’il s’agit d’une façon gracieuse de raconter les débuts de la christianisation de la Gaule, commencée indubitablement par la Provence, en la rattachant à des figures symboliques de l’évangile… Peut-être ont-ils tort de ne pas croire à la trop belle histoire…
Arrivés en lieu sûr, le groupe se disloque. Lazare part évangéliser Marseille, Maximin Aix, Marthe terrasse la tarasque à Tarascon et Madeleine, que son amour de la contemplation écarte des prédications publiques, se retire dans une grotte de la montagne varoise, la Sainte-Baume où, trente années, elle vivra dans la méditation des mystères christiques, la prière et les larmes pour ses fautes passées. Ces trente ans écoulés et sentant la mort venir, elle implore son Bien Aimé de lui permettre de communier une dernière fois. Les anges l’emportent alors jusqu’à Aix où Maximin lui donne le pain de Vie, reçoit son dernier soupir et lui fait donner une sépulture au village qui se nomme justement Saint-Maximin.
Un visage de femme
En raison de l’importance centrale de son rôle dans l’évangile, Madeleine la recluse prend alors dans la région une importance capitale et des sanctuaires sont bâtis à la Sainte-Baume, aujourd’hui sous la garde des dominicains qui l’ont prise pour patronne, l’autre sur sa tombe. On y garde ses reliques, à savoir sa tête, qui conserve encore une mèche de sa somptueuse chevelure, et un peu de peau là où Jésus l’aurait touchée, ainsi qu’un de ses bras. Mais s’agit-il bien de Marie-Madeleine ? Là encore, les écoles se déchirent ! Les Bourguignons, qui la vénèrent grandiosement à Vézelay, vous jureront que son corps, mis à l’abri des incursions sarrasines en Provence au IXe siècle est chez eux, bien sûr, et nulle part ailleurs. Les Provençaux vous soutiendront le contraire, et qu’ils n’auraient jamais été stupides, Maures ou pas, au point de laisser partir leur bonne patronne pour le Nord… D’autres reliques, dont on ne sait trop d’où elles viennent et à qui elles appartiennent, auraient été confondues avec les précieux restes de Madeleine.
Ne tentons pas de trancher ! Mais notons que des expertises médico-légales réalisées voilà quelques années sur le chef supposée de la Magdaléenne ont permis de reconstituer un visage de femme, inconsciemment proche-oriental, qui pourrait, en effet, être le sien.