Comment Marie a-t-elle vieilli ?
Le peintre Duccio a représenté la scène dans un triptyque intégré à sa célèbre Maesta. Sur le premier panneau, on voit l’ange, une palme à la main symbolisant la vie éternelle, se présenter devant une Marie aux traits vieillis. Sur le second panneau, Marie annonce à Jean qu’elle va être emportée au Ciel. Sur le troisième panneau, la Vierge fait ses adieux aux Apôtres réunis autour d’elle. L’Évangile est plus discret. On ne sait rien de la fin du séjour terrestre de la Vierge Marie. C’est par un faisceau d’indices scripturaires, un réseau de traditions orales, et un raisonnement théologique enfin que l’Église a conclu à l’Assomption de la Vierge Marie en son âme et en son corps, qu’elle a dogmatiquement proclamé en 1950. Ce qui avait toujours été cru est désormais une vérité de foi, à laquelle tout chrétien est donc tenu d’adhérer.
Il reste que Marie a vieilli. Or l’iconographie la représente presque toujours jeune, et même lorsqu’on veut figurer son action aux noces de Cana ou même sa présence au Golgotha, elle n’est pas représentée comme une vieille femme, plutôt comme une femme d’âge mûr. Il y a comme une réticence à montrer les ravages du temps sur le corps et le visage de la toujours jeune et vierge Marie. Serait-ce qu’on cherche à camoufler le vieillissement de Marie ? C’est plutôt là aussi un raisonnement théologique : Marie n’a pas connu le péché, puisqu’elle en avait été préservée dès sa conception. Or c’est le péché qui vieillit l’âme et emporte toute personne vers la mort. Donc Marie n’a pas connu les effets ordinaires du vieillissement. Le raisonnement n’est pas faux, peut-être trop abstrait pour être vraiment concluant. La vérité est qu’on ne sait pas si Marie a connu le vieillissement selon les modalités communes. Comment peut-on alors la représenter ?
En l’absence de Jésus et de Joseph
En revanche, on sait que Marie a survécu à la fois à Joseph et à Jésus. La question plus intéressante est alors de savoir comment elle a vécu cette double absence ? L’absence de Joseph a dû être douloureuse, et les années de veuvage bien pénibles. De nombreuses femmes en font l’expérience. Mais l’absence de Jésus, comment l’a-t-elle vécu ? La mort d’un enfant avant ses parents est révoltante, insupportable, quelles que soient les circonstances. La mort d’un fils qui est Dieu, qu’en est-il ? Marie a reçu le témoignage des apôtres, elle sait dans la foi que Jésus est ressuscité, qu’il vit éternellement. Elle saisit sans doute intuitivement qu’elle le rejoindra dans la gloire du Ciel. Mais, en attendant, que peut-il se passer dans son cœur ?
Cette Marie qui vieillit et attend le jour où elle rejoindra son fils dans la gloire du Ciel, nous ne la connaissons pas. Mais nous la devinons. Elle nous ressemble. Il suffit d’en donner un aperçu pour le comprendre. Que fait-elle ? Elle garde les paroles de Jésus et les médite en son cœur. Que fait-elle ? Elle s’entretient avec les disciples de Jésus de ce qu’elle a vu et entendu de lui. Que fait-elle ? Elle se tient au milieu de l’Église, dont elle reçoit tout mais à laquelle elle donne aussi tout ce qu’elle est. Que fait-elle ? Elle reçoit la vie divine, la grâce, en abondance, par les sacrements que son fils Jésus a laissés. Que fait-elle ? Elle vit de la présence en clair-obscur de Jésus, son fils et son Dieu, qui est à ses côtés à chaque instant et la prévient de son amour. Marie se souvient, et Marie espère. Et si Marie vieillit, ce n’est qu’en apparence parce que son cœur est toujours jeune, renouvelé à chaque instant par la grâce. Au milieu de tout cela, Marie s’occupe de ses voisins, prépare le repas, se rend à la fontaine, fait de petits travaux pour vivre.
À l’instant de notre mort
En tout cela, Marie fait l’expérience commune de la vie chrétienne en ce monde. Entre le souvenir et l’espérance, elle vit de la présence mystérieuse du Christ en ce monde en attendant de le rejoindre définitivement pour une éternité bienheureuse au Ciel. Elle seule a mérité, à la suite de Jésus, d’entrer au Ciel en son âme et en son corps. Mais au Jugement dernier, nous aussi serons reçus au festin des noces de l’Agneau en notre âme et en notre corps glorifiés. Et à l’instant de notre mort, Marie qui a vécu ce passage d’une manière unique sera là pour nous accompagner, comme nous le lui demandons à chaque fin de nos Ave Maria.
L’instant de notre mort arrivera. Car nous vieillissons, nous, marqués par le péché. Mais nous ressusciterons dans la gloire si nous avons accueilli Marie chez nous, comme saint Jean. Car alors, avec elle, nous aurons médité nuit et jour la Parole de Dieu, vécu de la présence mystérieuse du Christ, au milieu de l’Église. Dans ces conditions, il n’y a rien à craindre. Sous le manteau de la Vierge Marie, il y a de la place pour tous les hommes. On y vieillit, peut-être, mais on demeure jeune dans le cœur de Dieu avant de renaître pour la vie éternelle.