C’est à la veille de la Révolution française que le jeune François-René de Chateaubriand s’installe à Paris où il fréquente les bouillonnants milieux littéraires de l’époque. Sa foi s’émousse au contact de la vie sceptique et dissipée des salons parisiens. Il la retrouve en 1798, après le décès de sa mère et de sa sœur, toutes deux mortes en prison. Pour décrire cette conversion, Chateaubriand a une phrase devenue aujourd’hui célèbre :
"Je suis devenu chrétien. Je n’ai point cédé, je l’avoue, à de grandes lumières surnaturelles ; ma conviction est sortie de mon cœur : j’ai pleuré et j’ai cru."
Cette affirmation n’est pas tout à fait exacte car l’écrivain, si son cœur a bien été touché, a retrouvé la foi après de longues réflexions et méditations.
Cependant, elle illustre parfaitement ce mouvement du cœur qui accompagne la (re)découverte de la foi, et que les convertis connaissent bien. Chateaubriand entreprend alors l’écriture d’une vaste fresque au souffle généreux et imposant, qui a pour objet de réhabiliter le christianisme, en démontrant tous ses bienfaits, et en l’opposant à l’athéisme ainsi qu’au libertinage.
L’ouvrage paraît à Paris le 14 avril 1802. Immédiatement, le succès est considérable. Avec ses onze rééditions en trois ans, le Génie du christianisme devient le livre le plus populaire de l’époque. On racontait que dans tout foyer catholique français, s’il n’y avait que deux livres, c’étaient la Bible et le Génie du christianisme.
Un succès immédiat
Pourquoi cette apologie de la foi rencontre-t-elle un tel succès ? Elle est publiée à un moment charnière de l’histoire religieuse en France. La philosophie des Lumières au XVIIIe siècle avait mis à la mode le scepticisme et la raillerie à l’encontre de la foi chrétienne, et voulait faire croire à la dichotomie entre foi et raison. Le christianisme avait été ensuite abattu physiquement pendant la période révolutionnaire. Même si le sentiment religieux commence à se réveiller dès le tout début du XIXe siècle, il reste encore très meurtri par les sophismes du siècle précédent.
À travers son ouvrage, Chateaubriand a l’ambition de redonner légitimité et fierté aux catholiques. Il ne cherche pas faire œuvre d’exégète ni de théologien, mais, comme l’écrit Jean-Paul Clément, il entend démontrer la vraisemblance du catholicisme par la morale qui en est issue et les beautés qui en rayonnent. Chateaubriand estime que la religion catholique "favorise le génie et épure le goût", et qu’elle a permis à l’être humain son plein épanouissement intellectuel et artistique. Pour lui, le christianisme est la religion la plus favorable aux libertés ; elle est la religion la plus humaine, tout en étant la plus chargée de transcendance, et peut-être même à cause de cela.
À la lecture de ce livre qu’un grand souffle anime, on est touché par la sincérité de l’auteur, on sent le feu ardent du chrétien dans sa volonté de servir.
À la lecture de ce livre qu’un grand souffle anime, on est touché par la sincérité de l’auteur, on sent le feu ardent du chrétien dans sa volonté de servir. Chateaubriand met au service du christianisme l’éclat merveilleux de son propre génie. Si on sait combien cet ouvrage a profondément renouvelé la littérature française, on méconnaît souvent son influence fondamentale sur la foi chrétienne. Le Génie du christianisme a non seulement joué un rôle puissant de catharsis auprès des catholiques, mais il est à l’origine de tout le mouvement religieux du XIXe siècle.