Un nageur universitaire américain prénommé Will — avec comme patronyme Thomas — culminait à la 462e place chez les hommes, après trois années de pratique dans son équipe masculine de l’université de Pennsylvanie. L’athlète se retrouve au cœur d’une intense polémique outre-Atlantique, après avoir effectué ce qu’on nomme une « transition » vers le genre féminin et être devenu d’emblée n°1 sur le circuit des compétitions universitaires de nage réservées aux femmes. Depuis son arrivée parmi les nageuses, en septembre 2021, Lia (c’est le nouveau prénom choisi par Will) rafle en effet les premières places, et est en passe de ravir tous les records. Début décembre, l’athlète transgenre a réalisé les meilleures performances de l’année sur 200 et 500 yards nage libre. Lia Thomas vient de gagner une course plus longue avec 38 secondes d’avance sur la médaillée d’argent, une nageuse de sa propre équipe, qui a été dominée de la tête et des pieds, au sens propre comme au sens figuré. Thomas, qui a aujourd’hui 22 ans, a de quoi décourager la concurrence qui crie au scandale.
« Thérapie hormonale »
L’athlète transgenre explique avoir entamé sa « transition » en mai 2019, par une « thérapie hormonale pour réduire [son] taux de testostérone ». Et de préciser : « C’est un mélange d’œstrogène et de bloqueurs de testostérone. […] En gros cela fait connaître une puberté féminine avec une perte de muscles, un changement du visage. » Comme l’exige le règlement de la célèbre NCAA (National Collegiate Athletic Association), antichambre du sport de très haut niveau aux Etats-Unis, un sportif peut intégrer une équipe de l’autre genre un an après avoir entamé son traitement hormonal.
L’Amérique est à vif sur ce sujet sensible des « changements de sexe », consciente de l’intense douleur morale qui peut étreindre une personne en crise d’identité, qui se « sent », parfois depuis longtemps, parfois plus soudainement, et pour des raisons largement inexpliquées, « de l’autre sexe ». Les articles qui évoquent le cas Lia occultent en général son ancien prénom dont le rappel est assimilé à de la « transphobie », voire à de la haine. Dans ce refus d’interroger le principe d’un « changement de sexe », difficile de distinguer ce qui relève de l’idéologie de la déconstruction de ce qui est inspiré par la bienveillance vis-à-vis d’une personne en souffrance. Sans jamais remettre en question son identité féminine (ce qui s’apparenterait à une injure), les observateurs rapportent au féminin le mal-être exprimé par l’athlète : « Je me sentais piégée dans mon corps. »
Une question d’égalité
Mais voilà que ses concurrentes sportives se sont à leur tour senties piégées par le corps de Lia Thomas, malgré l’accueil bienveillant fait à leur camarade transgenre. Avec ce qui reste de sa corpulence et de sa force masculines, quelques mois après son arrivée chez les féminines, l’athlète s’approche déjà des records mondiaux de la discipline. Ce genre de progression fulgurante, chez un sportif habituel, laisse planer une suspicion de dopage. Le monde de la natation ne pouvait qu’entrer en ébullition. La superstar mondiale et ancien nageur Michael Phelps (sportif le plus titré de l’histoire des Jeux olympiques) a jugé la situation « très compliquée », souhaitant que chacun se sente « bien dans sa peau », il a ajouté : « La seule chose que j’aimerais, c’est que tout le monde puisse concourir sur un pied d’égalité. » Cette posture a aussitôt été considérée comme « ambivalente » et « hypocrite » par les tenants d’une inclusion sans limite des personnes transgenres dans les compétitions sportives. Nancy Hogshead, qui fut triple médaille d’or aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984, a cependant dénoncé plus fermement l’avantage induit par le « passé masculin », de Lia, le comparant même au dopage systématique aux stéroïdes anabolisants des athlètes de l’ex-RDA. L’ancienne championne de tennis Martina Navratilova a soutenu la posture d’Hogshead sur Twitter : « Il n’est pas juste que les femmes soient confrontées à la transgenre Lia Thomas ». Les performances de Thomas sont certes en régression par rapport à ce qu’elles étaient avant son traitement hormonal, mais pas dans les proportions attendues. Les conséquences de sa puberté masculine n’ont clairement pas été annulées.
L’évidence de l’injustice
À l’approche des prochains championnats NCAA prévus en en mars, l’université de Pennsylvanie a pourtant renouvelé son soutien à Lia Thomas. C’est le grand événement de la saison. Il faut préciser que le sport universitaire américain est une institution prise très au sérieux, au point qu’on s’arrache les sportifs les plus performants. L’athlète transgenre « devenu femme » est considéré comme une chance pour son université mais comme une concurrence déloyale par les nageuses. Ces dernières s’estiment lésées. Voilà donc que les revendications « transgenre » sont accusées de porter atteinte aux droits des femmes. À l’heure de la culture woke s’ouvre une bataille de victimes. Quelle est la discrimination la plus inacceptable : être exclu des compétitions féminines, en tant que personne transgenre, ou subir la concurrence déloyale d’un « ex-homme », en tant que femme ?
Irréversibles, certains parcours de transition sont regrettés, mais trop tard. De son côté, le pape François souligne, dans Laudato si’, combien l’accueil de son corps sexué est un élément-clé de l’écologie humaine
Placées par la fronde des nageuses devant l’évidence de l’injustice, les instances du sport américain (NCAA, et la Fédération américaine de natation) promettent un nouveau règlement qui bannira certainement Lia Thomas des compétitions féminines. Pour ceux qui craignent l’envahissement du sport féminin par des athlètes transgenres en mal de succès, il s’agit, ni plus ni moins, de « sauver le sport féminin ». Tout en affirmant que Lia Thomas a « totalement le droit de vivre sa vie de manière authentique », les signataires d’un appel de nageuses se décrivant comme des « femmes biologiques », par différentiation avec les « femmes transgenre », estiment que « dans les compétitions sportives, le sexe biologique est une question différente de l’identité de genre », et demandent aux instances sportives une réglementation équitable. Le monde politique s’en mêle : « Nous interdirons aux hommes de participer à des compétitions féminines », a déclaré l’ancien président Donald Trump, le 15 janvier.
L’accueil de son corps sexué
Douloureuse artificialité
À l’initiative de Roselyne Bachelot, la France a été, en 2010, le premier pays au monde à retirer les « troubles précoces de l’identité de genre » des affections psychiatriques. La montée des problématiques transgenre n’en constitue pas moins un défi anthropologique, éducatif et humanitaire poignant, du fait de l’intensité des souffrances personnelles et familiales induites. Assistant à une compétition gagnée par Lia, le père d’une concurrente de Lia Thomas a résumé son malaise : « Je vois quelqu’un qui écrase les autres ; ce n’est pas équitable. Mais je vois aussi que personne ne lui parle, ni ne l’encourage, même pas ses coéquipières. […] Comment vous sentir bien si vous savez que personne dans les tribunes n’est heureux de votre victoire ? » Le trouble semble inhérent à l’artificialité des « changement de sexe » tant il bouleverse les relations, pas seulement avec les proches qui sont, certes, les plus bousculés. En société individualiste, la sacralisation de « choix individuel », qu’on affirme dictés par une évidence intérieure ne souffrant aucune contestation, aboutit ici à une impasse quand, en s’imposant, de telles décisions se révèlent incapables de tenir compte de leur impact sur la communauté.