Chaque semaine, la philosophe Jeanne Larghero éclaire les petites et grandes questions de l’existence à la lumière de l’éthique chrétienne. La déclaration du président Macron assurant vouloir "emmerder" les non-vaccinés lui inspire une réflexion sur les devoirs de l’homme politique : le souci de l’autre qui est le propre de l’expérience parentale est le modèle de ce que doit être la responsabilité politique.
"Bienveillance", on n’a plus que ce mot à la bouche. Éducation bienveillante, management par la bienveillance, politique du care... Alors, évidemment, quand un président de la République, lors d’un entretien au Parisien, parle des Français non vaccinés en lâchant : "J'ai très envie de les emmerder", cela détonne. Laissons de côté la cible visée et les débats sur le vaccin, car après tout, la formule pourrait marcher avec une kyrielle de concitoyens : les exilés fiscaux, les gilets jaunes, ceux qui roulent au diesel, ou mettent encore leur déclaration d’impôt sous enveloppe. Pas besoin d’être hors-la-loi pour s’attirer les "emmerdes", il suffit juste de ne pas être d’accord. Cette liberté de ne pas être d’accord constitue cependant, rappelons-le, le fondement de la démocratie.
Comme un bon père de famille
Le philosophe Hans Jonas, dans le Principe Responsabilité (1979), œuvre qui a fait date dans la formation des responsables politiques, rappelle cette évidence : le responsable politique, l’homme d’État digne de ce nom doit toujours être capable de régler ses décisions sur celles du père de famille digne de ce nom. Il compare explicitement le rôle du chef d'État à celui d’un bon père de famille. Ne pas faire ou dire ce qu’on ne ferait pas en tant que père de famille. Avoir la prudence de décision, la capacité d’anticipation, et surtout la mesure qui caractérise celui qui a entre ses mains le bien d’une petite communauté de vie.
Le bon père de famille ne voit pas en ses enfants des adversaires ni des ennemis, il n’est pas motivé par son "envie d’emmerder" l’un ou l’autre.
Le souci de l’autre qui est le propre de l’expérience parentale est le modèle de ce que doit être la responsabilité politique. Cela ne signifie pas que l’homme d’État, ou qu’un président de la République doit se prendre pour le père de ses concitoyens : cela signifie que son souci du bien de tous, du bien commun, doit être à la hauteur du souci qu’a un bon père pour sa propre famille. Le bon père de famille ne voit pas en ses enfants des adversaires ni des ennemis, il n’est pas motivé par son "envie d’emmerder" l’un ou l’autre. Il fait plutôt partie de ceux qui ont écouté avec intérêt saint Paul (qui lui-même n’avait pas d’enfants) : "Parents, n’exaspérez pas vos enfants" (Co 3, 21).
"Vous vivez sous le même toit"
Traduisons : ne les emmerdez pas. Pourquoi ? Mais tout simplement parce que vous vivez sous le même toit, vous partagez la même table, ce sont vos proches, votre prochain. C’est ainsi : on n’est pas plus proches de ceux que l’on dirige en mimant leur langage ou leurs propres faiblesses, on n’est pas plus respecté non plus en jouant à "œil pour œil, dent pour dent". Que cette menace en demi-teinte, lâchée dans une conversation, nous invite plutôt à faire un retour sur nous-mêmes, à ré-interroger la façon dont nous réglons nos désaccords en famille, au travail, en communauté : les encouragements valent toujours mieux que les menaces, car ils donnent envie de croire à un avenir commun.