10 décembre 1979, le froid est vif ce matin à Oslo. Une petite foule choisie se presse devant l’entrée de l’Hôtel de Ville, imposant bâtiment flanqué de deux tours et agrémenté d’un carillon. Le roi Olav V, les membres du gouvernement norvégien et de nombreux diplomates s’installent dans la vaste salle des fêtes richement ornée dans le style expressionniste des années 1930. Qui attendent-ils, avec respect et déférence ? Ils attendent Mère Teresa, qui va recevoir, dans quelques minutes, le prix Nobel de la paix.
La nomination de Mère Teresa, pour le Nobel de 1979, tranche radicalement avec les précédents lauréats qui avaient rarement fait l’unanimité, et qui avaient alimenté de nombreuses controverses politiques. Cette année, personne ne conteste le choix opéré, au contraire, tous reconnaissent les mérites immenses de la lauréate.
Après une allocation de présentation prononcée par le président du Comité, Mère Teresa monte à la tribune pour recevoir le diplôme et la médaille. Le contraste avec l'assistance est saisissant : la petite religieuse albanaise, vêtue de son humble sari blanc, détonne à côté du parterre des élégantes personnalités.
En recevant son prix, nul doute que Mère Teresa se souvient du mois de septembre 1946, et de son voyage en train entre Calcutta et Darjeeling. En effet, c’est pendant ce trajet qu’elle dit avoir reçu de Dieu « l’appel dans l’appel » : aider les pauvres en vivant comme eux. Nul doute qu’elle se souvient aussi de la première personne qu’elle recueillit dans la rue, une vieille femme que son fils avait jeté dans une poubelle et qui était déjà recouverte par les fourmis.
Mère Teresa prend la parole en anglais, avec son irrésistible accent. L’originalité et la radicalité de son discours bouleversent les conventions diplomatiques et le langage quelque peu attendu qui est souvent de mise lors des cérémonies officielles. Elle commence par remercier, non pas le Comité comme il serait d’usage, mais Dieu, pour le don de la paix qu’il fait aux hommes. Puis, pleine de confiance et de tranquille hardiesse, elle demande à son auditoire de réciter avec elle la « prière de la paix » de saint François d’Assise. Bien sûr, en femme avisée, elle avait pris soin de faire distribuer ce beau texte à tous, afin que chacun soit en mesure de prier avec elle.
La lauréate évoque ensuite ses pauvres bien-aimés. Sa voix se fait alors plus douce encore. Elle arbore son petit sourire à la fois malicieux et profond ; on entrevoit, en l’écoutant, l’intensité de l’amour qui l’unit au Christ et aux pauvres. Elle tente d’expliquer la radicalité du message catholique qu’elle vit quotidiennement en Inde : « aimer les autres jusqu’à en avoir mal », comme le Christ nous a aimé jusqu’à en mourir.
Mais soudain, le sourire disparaît, le visage devient grave et souffrant car Mère Teresa expose maintenant ce qu’elle considère comme « le plus grand destructeur de paix, qui est le crime commis contre l’innocent enfant à naître. » La religieuse conclut son discours par une prière, tout personnelle cette fois-ci : « Prions tous d’avoir le courage de défendre l’enfant à naître et de donner à l’enfant la possibilité d’aimer et être aimé. Et je pense qu’ainsi, avec la grâce de Dieu, nous pourrons apporter la paix dans le monde. »
Devant son auditoire médusé et, avouons-le, parfois mal à l’aise, Mère Teresa réussit en quelques minutes à transmettre les fondamentaux chrétiens : la charité, la prière, et le respect de la vie, de la conception à la mort. Nulle dichotomie en réalité entre l’annonce de la Bonne Nouvelle et le Nobel décerné à Oslo : le Christ n’est-il pas le Prince de la paix ?