Pro jure contra legem ("Pour le droit, contre la loi"). En 1875, quand Victor Hugo écrivit que c’était là "une des formules de sa vie publique", il avait connu bien des régimes et bien des débats parlementaires. Il était né sous un consulat, avait vu naître le premier et le second Empire, aussi bien que la IIe et la IIIe République, sans oublier deux monarchies constitutionnelles. Dans ce va-et-vient chaotique des régimes politiques, il avait fait de cette brève formule latine sa boussole : Pro jure contra legem.
Monarchiste devenu Républicain, homme de droite ayant viré à gauche, catholique réactionnaire transformé en progressiste illuminé sans autre religion que celle de l’Humanité, il épousa son siècle en rêvant de le faire accoucher d’un monde meilleur. Moins lucide que Balzac ou Baudelaire sur les impasses et les naïvetés du XIXe siècle, il eut souvent tendance à faire du Progrès une divinité et de la République une idole. Pourtant, il ne leur sacrifia jamais ce garde-fou divin, la conscience. Parlant de l’homme politique qu’il fut, il écrivit : "Sa conscience lui a imposé, dans ses fonctions de législateur, une confrontation permanente et perpétuelle de la loi que les hommes font avec le droit qui fait les hommes."
Le droit est divin
Même quand il se fit le chantre hyperbolique de l’avènement d’un monde nouveau grâce à un régime nouveau, Hugo ne confondit jamais les lois de la République, relatives, et la justice absolue auxquelles elles prétendaient mener les citoyens. L’histoire des hommes lui semblait même tout entière dans cette tension permanente entre ces deux forces, le droit et la loi : "Le droit se meut dans le juste, la loi se meut dans le possible."
Les lois de la République, tout autant que celles de la monarchie ou de l’Empire, ne demeurent humaines que parce qu’elles connaissent des exceptions ou parce que "le droit est divin, la loi est terrestre.
De cette opposition, il fit aussi ses plus percutantes scènes romanesques : le droit de prendre un pain pour survivre malgré la loi qui punit le vol, le droit de donner de l’eau à un condamné, même quand les gendarmes interdisent de s’approcher, le droit d’aider à s’évader un prisonnier qui n’a été arrêté que parce qu’il a interrompu sa fuite pour sauver trois enfants promis aux flammes. On peut juger les épisodes hugoliens larmoyants ou hollywoodiens, mais il est dangereux de nier leur morale : les lois de la République, tout autant que celles de la monarchie ou de l’Empire, ne demeurent humaines que parce qu’elles connaissent des exceptions ou, pour citer encore le républicain Hugo, parce que "le droit est divin, la loi est terrestre".
Au fondement de toute liberté
Un dirigeant politique fidèle à Hugo gagne donc à se souvenir que la République devient tyrannique, dès qu’elle exclut la possibilité même d’un écart entre le droit et la loi, cet espace qui s’appelle la conscience. C’est cette même conscience — et son examen — qui fonde l’existence de la confession et justifie ultimement son secret. La Pénitencerie apostolique n’écrivait pas autre chose le 29 juin 2019 : "Toute action politique ou initiative législative visant à “forcer” l’inviolabilité du sceau sacramentel serait une atteinte inacceptable à la libertas ecclesiæ, qui ne reçoit pas sa légitimité des États, mais de Dieu ; ce serait également une violation de la liberté religieuse, qui fonde juridiquement toute autre liberté, y compris la liberté de conscience des citoyens, qu’ils soient pénitents ou confesseurs."
Autorité romaine que ne saurait admettre un État laïque ? Il est vrai que la première République n’hésita pas à mettre le pape Pie VI en prison en 1799, et que l’Empire fit de même avec son successeur en 1809. Lors de sa rencontre avec le pape François, Jean Castex s’est montré plus aimable : il a offert au successeur de Pierre une édition illustrée de Notre-Dame de Paris. Signe qu’Hugo pourrait être un terrain d’entente entre l’Église et le gouvernement ? Peut-être, du moins à condition que la République ne s’octroie jamais le droit de mettre la conscience hors-la-loi.