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Albert de Mun, un catholique au secours du monde ouvrier

Albert de Mun

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Thérèse Puppinck - publié le 05/10/21
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Albert de Mun (1841-1914) a consacré sa vie à la sauvegarde des intérêts ouvriers. Considéré comme l’un des plus grands orateurs de son époque, cet homme politique a inspiré une partie de la législation française du travail. Il est mort un 6 octobre.

Lors des événements de la Commune en 1871, Albert de Mun, tout jeune officier, prend conscience de la grave dichotomie qui existe entre les ouvriers, incapables de défendre seuls leurs intérêts, et la grande bourgeoisie industrielle proche du pouvoir. Il fonde alors avec quelques amis, en parallèle de sa carrière militaire, l’Œuvre des Cercles catholiques, dans le but de contribuer à la rechristianisation du pays mais aussi de défendre les intérêts matériels et moraux des ouvriers.

Les nombreux déplacements qu’il effectue dans toute la France pour l’établissement de ces Cercles lui font découvrir en profondeur la vie quotidienne des ouvriers, la rudesse et la pénibilité de leur condition de travail. À l’occasion de ces voyages, il révèle un exceptionnel talent d’orateur qui le propulse malgré lui sur le devant de la scène.

Se présente alors devant le jeune homme un choix radical : continuer sa carrière militaire ou embrasser l’action politique et sociale. Il opte pour la politique, voie la plus périlleuse mais la plus efficace, selon lui, pour mettre ses talents au service de Dieu et de la société. Il donne sa démission de l’armée à la fin de l’année 1875, à l’âge de 34 ans, et aborde sa nouvelle carrière sans y être vraiment préparé, mais convaincu de la nécessité d’aider les plus humbles. Avec persévérance et humilité, il passe de longs mois à se former sur les questions économiques et sociales, mais plus largement il réfléchit à une vision catholique de la politique.

Entre 1876 et 1914, Albert de Mun est élu député de Bretagne presque sans discontinuité. Désormais, les ouvriers ont trouvé leur champion à la tribune de l’Assemblée nationale. Avec ses confrères catholiques, le jeune député ouvre une troisième voie, celle de l’Église, entre le libéralisme, prêt à écraser l’ouvrier et à remettre en cause jusqu’à sa dignité, et le socialisme, utopie nourrie par la violence et la haine.

Durant toute sa carrière politique, Albert de Mun déploie une activité impressionnante, même si le combat est rude et les avancées bien lentes. Il est ainsi à l’initiative de nombreux projets de loi pour améliorer les conditions de travail des ouvriers, notamment des femmes et des enfants. À cette époque, l’absence de législation sur le droit du travail rend les chefs d’entreprises seuls maîtres pour organiser les temps de travail et de repos, ce qui amène régulièrement à des abus notables.

L’une des propositions phares d’Albert de Mun est la suppression du travail de nuit des femmes et des enfants. Après une première tentative en 1889, il revient à la charge en 1892 et prononce à ce sujet un discours devenu aujourd’hui célèbre, dans lequel il expose à ses collègues de la Chambre l’extrême pénibilité du travail de nuit pour certaines catégories professionnelles. Il commence par évoquer la veillée, pratique souvent utilisée dans les ateliers de couture parisiens :

« À sept heures et demi, au moment où les ouvrières vont quitter l’atelier, on annonce qu’il y aura veillée… on n’a pas été prévenu auparavant… on a un quart d’heure pour aller chercher une petite collation. » Les ouvrières mangent sur place, dans l’atelier, puis se remettent au travail jusqu’à onze heures. Le retour à la maison est compliqué à une heure aussi tardive. En effet, elles habitent loin des ateliers, qui sont tous installés au cœur de Paris. Elles sont obligées de rentrer à pied, certaines préfèrent alors dormir sur place, sur une simple chaise. Mais sans aménagement d’horaire pour le lendemain matin, le travail débute à l’heure habituelle. Le député décrit ensuite le travail de nuit dans les usines et démontre que ce travail épuise littéralement les femmes et détruit les familles car les parents, travaillant souvent en décalés, ne se voient pas et n’ont pas le temps de s’occuper de leurs enfants. Ce discours marque les esprits tant il regorge de faits concrets. Le travail de nuit pour les femmes et les enfants de moins de 18 ans est interdit en 1900.

En 1888, Albert de Mun dépose un amendement qui propose que le jour férié hebdomadaire, prescrit par la loi pour les femmes et les enfants, soit instauré officiellement le dimanche, et non plus laissé au choix du chef d’entreprise. En effet, explique-t-il à la Chambre, il n’est pas rare que la mère de famille et les enfants ne travaillent pas tous dans la même usine ; de ce fait, les jours de congés peuvent être en décalé. N’est-il pas alors opportun de garantir le même jour de congé à tous, afin de préserver la vie de famille ? « Si vous refusez cela aux ouvriers, clame Albert de Mun dans son discours, c’est qu’en réalité vous traitez l’homme comme la machine elle-même. » Cependant, prisonniers de leur idéologie anticléricale, les députés refusent d’admettre le bien-fondé d’une telle proposition qui les obligerait à accepter le dimanche comme jour férié. Il faut attendre 1906 et la menace de graves mouvements sociaux pour que le principe du repos dominical soit consacré par la loi.

En parallèle avec la proposition précédente, Albert de Mun souhaite aussi, s’inspirant du modèle anglais, réduire la journée du samedi pour les femmes à 8h au lieu de 10h de travail. Selon lui, elles pourraient ainsi consacrer quelques heures le samedi à la tenue de la maison, et le dimanche deviendrait alors un véritable jour de repos, sans tâches ménagères. Présenté en 1888 puis en 1911, la « semaine anglaise », comme on l’appelait à l’époque, est finalement adopté en 1917. Autre combat pour Albert de Mun : les congés maternité. Au mois d’octobre 1892, il demande pour les femmes enceintes un arrêt obligatoire avant et après la naissance. L’Assemblée commence par autoriser la suspension du travail pendant huit semaines en 1909, avant de finalement obliger les employeurs à accorder des congés maternité en 1913.

S’inspirant de la doctrine sociale de l’Église, Albert de Mun promeut un équilibre entre capitalisme et socialisme qui tend à concilier les principes de liberté et d’autorité. Ces propositions n’ont rien de révolutionnaire dans l’Europe de la fin du XIXe siècle : elles sont déjà largement suivies en Allemagne et au Royaume-Uni. Mais dans une IIIe République davantage tournée vers des réformes sociétales que vers les améliorations sociales, on constate que ce sont les députés catholiques, Albert de Mun en tête, qui sont à la pointe des revendications sociales. La législation du travail en France est grandement redevable à Albert de Mun.

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