La résistance face à la répression communiste ou nazie gagne depuis quelque temps le cœur des réalisateurs fidèles au cinéma de salles (par opposition à celui des plateformes). Nous avons eu Une vie cachée (2019) de Terrence Malick, avec l’objecteur de conscience Franz Jägerstätter, puis L’ombre de Staline (2020) d’Agnieszka Holland avec le lanceur d’alerte Gareth Jones, qui affronta le silence autour du crime commis en Ukraine par le régime soviétique de Staline. Deux histoires vraies pour rappeler le courage d’hommes solitaires face à l’immonde machine des idéologies, qui ramasse foule sur son passage et provoque souvent le silence.
Aujourd’hui, c’est au réalisateur slovaque Ivan Ostrochovsky que nous devons un autre récit inspiré du réel : la collaboration plus ou moins forcée entre le parti communiste et l’Église catholique en Tchécoslovaquie, vécue au sein d’une école de théologie. Les anecdotes du film Les Séminaristes sont aussi vraies que le sang versé que l’on voit dans plusieurs scènes. Pourtant, l’intention du réalisateur est, hors de toute morale, de faire réfléchir sur le rapport de chacun au collaborationnisme — tentation qui pourrait arriver sans crier gare.
Dès 1948, quand le parti communiste prend le pouvoir en Tchécoslovaquie, la police secrète persécute tous les prêtres s’opposant aux nouvelles règles imposées par le gouvernement. Afin de contrôler et de manipuler l’Église, le gouvernement crée Pacem in Terris, une organisation cléricale collaborationniste qu’il implante dans toutes les structures du pays. Au début des années 1980, deux jeunes séminaristes arrivent dans un séminaire qui se veut le gardien des traditions tout comme lieu de paix. Une paix qu’au congrès de l’organisation on rapproche des préoccupations de l’Église pour justifier la collaboration au régime totalitaire communiste. Dans la salle, les doigts se lèvent, souvent sans grande conviction intérieure : une bonne majorité de prêtres approuve et se plie au parti pour se rendre invisible et intouchable. Les autres suivent dans la clandestinité la désapprobation du Vatican face à Pacem in Terris, auquel ils disent la vérité via la radio libre d’Europe, parfois au péril de leur vie.
Au fur et à mesure, un climat de soumission et de silence s’instaure au séminaire, on veut briser le libre arbitre comme la loyauté et la confession sert vite à dénoncer. Si le réalisateur brouille les pistes sur son intention — aidé par Rebecca Lenkiewicz la co-scénariste de Ida (2013) de Pawel Pawlikowski — en se voulant impartial et loin du manichéisme, il se place pourtant clairement du côté des résistants et leur fait même honneur. Car la résistance s’organise au sein du séminaire grâce à une poignée d’insoumis. Et la scène de la grève de la faim lancée en signe de désaccord avec Pacem in Terris à laquelle une grande partie des étudiants participe montre cette guerre des consciences vécue dans le silence. Un silence à double sens, celui qui fait taire face à celui qui lutte.
Seule la bande sonore du film dérange cette chape de plomb, soutenue par une image en noir et blanc impeccable et sobre comme on trouve dans le cinéma des pays de l’Est. En effet, le son est aussi malfaisant pour l’oreille que peut l’être l’idéologie communiste pour l’âme. Gênant, sournois, grinçant, bourdonnant comme une énorme guêpe prise au piège dans l’écran, ce son se veut néfaste et fou. Et pourtant, on le tolère parce qu’il dit si bien le dégoût que nous éprouvons face à certaines scènes. Il est remarquable de dire en si peu de mots, d’images et de sons la teneur sournoise du totalitarisme communiste. Et c’est toute la force du cinéma, qui s’adresse à nos sens, de signaler à quoi nos oreilles et nos yeux sont véritablement soumis quand nos consciences s’éteignent.
Les Séminaristes, d’Ivan Ostrochovsky, avec Samuel Skyva, Samuel Polakovic, Vald Ivanov et Valdimir Strnisko, 1h18, le 2 juin 2021 au cinéma.