Au bout d'un an de pandémie, que nous disent les enquêtes d’opinion ? "Les managers sont sur les rotules", constate Les Echos. Une autre enquête plus large réalisée par l’institut Gece affirme que "31% des Français ont le moral en berne, cette morosité est flagrante à tous les niveaux : par exemple, nos compatriotes ne sont que 12% à afficher un moral au beau fixe (contre 32% avant le mois de mars)". Le psychologue Vincent Joly souligne dans le Progrès : "Aux restrictions des libertés individuelles, aux difficultés économiques et au manque de lien social s’ajoute une grande confusion. Confinement, déconfinement progressif, couvre-feu puis reconfinements partiels ou localisés… Les décisions successives, souvent prises au dernier moment, continuent d’affecter notre santé mentale." Enfin, dans un article quelque peu alarmiste de La Tribune rapporte une enquête Opinionway selon laquelle "en mars 2021, près de la moitié des salariés se sont déclarés en situation de détresse psychologique". Et selon le quotidien, "le télétravail fait de la santé mentale une priorité pour les employeurs".
Nous sommes en présence d’un changement involontaire prolongé, dont les conséquences ne peuvent pas être évitées. On espérait une pandémie courte, anodine, vite évacuée par nos efforts associés aux vaccins. C’est l’inverse qui a lieu, avec des variants qui augmentent la pression. On espérait revenir à une situation normale, on découvre qu’elle risque fort d'être durable, et que les efforts demandés devront se poursuivre sans limite précise… Indépendamment des mesures publiques d’aide, ou des adaptations techniques mises en œuvre dans les organisations, les professionnels confrontés à ce bouleversement vivent une épreuve que l’on peut décrire en ces termes : changement dans la façon de travailler, par exemple télétravail partiel ou non ; changement de lieu de travail, espace privé et professionnel moins différencié ; changement de relations professionnelles, moins "présentielles"; obligation de se former à de nouveaux outils ; détérioration de l’environnement classique, avec perte sèche de clients par exemple pour les restaurants ; changement concernant le rapport à l’avenir plus incertain et à la sécurité de l’emploi…
Quand il est subi et important, un changement présente un coût psychique : il implique une énergie personnelle pour s’y adapter. Or cette dépense énergétique est en partie inconsciente, on ne se rend pas forcément compte qu’on se bat pour tenir, ce qui donne la sensation d’un mal-être diffus quand on découvre que les efforts consentis ne sont pas provisoires mais qu’il faut les poursuivre sans savoir jusqu’où. Un sentiment d’usure, de fatigue et de doute s’installe, pouvant aller jusqu’à la dépression. Ce sentiment est partagé par un grand nombre de salariés aujourd’hui.
Un changement défavorable est d’abord une épreuve. La psychiatre suisse Elisabeth Kubler Ross nous a appris avec son "modèle" que le rapport au changement était calqué sur celui du deuil.
Il faut d’abord reconnaître ce que l’on perd, et l’accepter prend du temps. Cette étape peut donner l’impression que l’on recule alors qu’il faut avancer. Mais le changement n’est jamais une progression rectiligne, il ressemble à un swing de golfeur qui prend son élan avant de se lancer et de réussir à nouveau. Ce processus de deuil et de renaissance mérite d’être accompagné pour être plus court, moins douloureux, mieux maîtrisé.
Continuer de soutenir les salariés, c'est leur montrer de l'intérêt comme salariés et comme personnes. C'est également dire la vérité avec pédagogie pour alimenter la confiance. C'est entretenir une relation de qualité, par l'attention, la compassion l'écoute, la solidarité, avec des gestes authentiques et des paroles justes. On est en train de redécouvrir une conviction d'Aristote : Nous avons un besoin vital de vivre ensemble ! Ne l'oublions pas, nous rappelle à juste titre le consultant britannique David Gingell.
On peut discerner trois niveaux d’accompagnement suivant les degrés de souffrance des personnes : si les salariés ne sont pas trop affectés, il est souvent suffisant pour eux de voir que leurs responsables s’occupent d’eux, défendent leur job, les écoutent et les conseillent. Quand les responsables ne peuvent plus accompagner, parce que la demande est trop forte en nombre ou en intensité, ils ont intérêt à déléguer à des tiers, coachs ou psychologues. Quand les personnes en souffrance sont très perturbées, il faut recourir au médecin. De toute façon, ni les aides de l’État ni les efforts de digitalisation ne peuvent traiter les effets humains de la pandémie au travail : ils demandent une attention dédiée qui se révèle efficace quand elle est faite au bon moment.