« Seule la vérité permettra de reconstruire l’Église de Guyane » : les mots simples de Mgr David Macaire, archevêque de Fort-de-France, sont un modèle de foi dans la fécondité paradoxale de toute enquête douloureuse, qu’elle aboutisse à la révélation de crimes sordides ou qu’elle innocente des accusés traînés dans la boue. Oui, la Vérité construit et reconstruit : elle est le seul roc sur lequel des fondations soient stables, alors que le mensonge, quel que soit le clinquant de ses façades, mène toujours le bâtiment à la ruine.
Chargé par le Vatican de l’enquête canonique sur Mgr Lafont, évêque émérite de Cayenne accusé d’avoir accueilli des migrants en échange de rapports sexuels, Mgr Macaire témoigne que la prudence épiscopale peut être une vertu, qu’on aurait tort de réduire à la « langue de buis », cette variante cléricale de la langue de bois. En quelques mots clairs et ajustés, Mgr Macaire a exposé dans La Croix l’enjeu de tout travail à mener au cœur des ténèbres :
Parfait équilibre, qui manque trop souvent aux journalistes, avides de scoops sordides ou, certes plus rarement, experts en atténuations commodes. Mgr Macaire, lui, tient tout autant compte de la possibilité de la calomnie — « ce n’est malheureusement pas chose rare chez nous » — que de l’extrême gravité des faits dénoncés. Il déclare que les témoignages très différents qu’il a reçus jusqu’ici étaient indirects et, par conséquent, « insuffisants pour aller tout de suite plus loin ». En somme, Mgr Macaire évite les deux écueils si souvent perceptibles dans les affaires récentes : la condamnation par avance et la défense mécanique.
Maritain opposait deux catégories de chrétiens : d’un côté, les Moutons de Panurge, engagés socialement, mais systématiquement critiques de la hiérarchie et du dogme ; de l’autre, les Ruminants de la Sainte-Alliance, plus sûrs théologiquement, mais prêts à défendre jusqu’à l’aveuglement l’action ecclésiale traditionnelle. En créant ces deux archétypes, il voulait dépasser le clivage exclusivement religieux contenu dans le couple « moderniste/intégriste » et le clivage exclusivement politico-social du couple « progressiste-conservateur ».
Le gros problème, notait Maritain, est que « dans le zèle des uns et des autres, le service de la pure vérité n’a pas le premier rang ». Sa remarque est parfaitement illustrée par les scandales d’abus sexuels. Pour les Moutons comme pour les Ruminants, la vérité est secondaire : l’essentiel est qu’elle leur donne raison. Pour les Moutons de Panurge, les faits doivent absolument montrer qu’un évêque est suspect par nature, parce qu’il exerce l’autorité, parce que c’est un homme et parce que, comme tout prêtre, il est rendu hypocrite et pervers par le célibat sacerdotal. Pour les Ruminants de la Sainte-Alliance, au contraire, les faits sont tenus de confirmer qu’un évêque est par nature innocent, admirable d’abnégation au service de son troupeau et persécuté par une meute hostile qui veut sa tête.
Ces deux archétypes, précisait Maritain, ne sont que deux minorités, évidemment caricaturales. La majorité du peuple chrétien, indifférente à leurs efforts, est avant tout « malheureuse et troublée ». Les paroles de Mgr Macaire sont celles d’un serviteur de la Vérité, cette Vérité que désirent sans arrière-pensée les fidèles malheureux et troublés. C’est à ces fidèles que pense plus que tout l’archevêque quand il écrit : « J’ai vu une Église qui, malgré la tourmente actuelle, est tout de même très belle. » Il est beau qu’un évêque garde cette capacité d’admiration au cœur de sa nécessaire exploration de faits sordides.
« Seule la vérité permettra de reconstruire l’Église de Guyane. » La vérité, comme la parole de Dieu selon Bernanos, est un fer rouge qui brûle d’abord et guérit ensuite. Gageons que cette vérité brûlante intéressera aussi les Moutons de Panurge et les Ruminants de la Sainte-Alliance qui, au-delà de leurs automatismes crispés, ne sont jamais de trop pour reconstruire l’Église ou pour retrouver ses fondations.
L'église des pédophiles, par Henri Quantin, Cerf, mai 2021.