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« Loi séparatisme » : la tentation du contrôle des cultes

ASSEMBLEE NATIONALE

Jean Castex à l'Assemblée nationale.

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Matthieu Rougé - publié le 30/03/21
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Les contours imprécis du « contrat d’engagement républicain » ouvrent la porte à toutes les outrances et toutes les incertitudes, avertit Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre.

Une étonnante coïncidence de dates fait que le projet de loi destiné à « conforter les principes de la République » sera discuté au Sénat durant la Semaine sainte. Cette entreprise législative, née au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty et de la prise de conscience renouvelée du développement de « séparatismes » toujours plus radicaux dans notre pays, est en elle-même louable. L’exécutif et le législatif sont pleinement dans leur rôle chaque fois qu’ils veillent à préserver la vie — physique et relationnelle — de tous, chaque fois qu’ils promeuvent la justice et la paix. Bien des dispositions de ce projet de loi font aujourd’hui consensus et seront, on peut vraiment l’espérer, efficaces et bienfaisantes.

Mais plusieurs de ses articles soulèvent de graves objections, de la part des religions, les catholiques et les protestants en particulier, mais aussi de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et du monde associatif non-confessionnel, j’ai eu l’occasion de m’en apercevoir lors d’une audition parlementaire récente. En risquant de porter atteinte à la liberté d’expression, d’association et d’éducation, ce projet pourrait non seulement manquer son objet, la défense de nos libertés, mais encore s’avérer contre-productif en braquant contre la puissance publique ceux dont elle devrait au contraire gagner ou reconquérir la confiance.

« Le projet de loi oblige les associations qui demandent une subvention à signer un “contrat d’engagement républicain”, relève la CNCDH. […] En créant [ce contrat], le projet de loi instaure en réalité unilatéralement une obligation nouvelle, aux contours imprécis et qui atteint le climat de confiance nécessaire au développement d’un sain partenariat. La CNCDH en recommande l’abandon. » Tous les citoyens et toutes les associations ont à observer en toutes circonstances l’ensemble des lois de notre pays. N’affaiblit-on pas en fait cette obligation générale en la spécifiant aux associations demandant des subventions publiques ? Par ailleurs, un certain nombre de déclarations politiques récentes ont confirmé ce qu’avance la CNCDH : les « contours imprécis » du « contrat d’engagement républicain » ouvrent la porte à toutes les outrances et toutes les incertitudes.

L’article 27 du projet de loi, qui a commencé à évoluer depuis le début de la navette parlementaire, prévoyait une reconnaissance préfectorale à reconquérir tous les cinq ans pour les associations dites « cultuelles » instituées par la loi de 1905. Voilà qui va à l’encontre de l’article 2 de cette loi perçue unanimement comme fondatrice : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Il est vrai qu’en 1905, les partisans de la laïcité la plus dure n’étaient pas en faveur de la suppression du concordat napoléonien mais de son renforcement. Il demeure dans le code génétique de notre République une tentation concordataire de contrôle des cultes qu’on voit réaffleurer régulièrement, et aujourd’hui encore donc avec tout ce qu’elle peut avoir d’inquiétant pour les libertés publiques.

On ne luttera pas à bon escient contre le séparatisme en suscitant, par un soupçon généralisé sur les appartenances religieuses, une sorte de réaction de défiance défensive.

Le projet de loi s’en est pris également à la liberté éducative, si emblématique dans l’histoire de notre laïcité. Depuis le débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale, beaucoup ont pris conscience que « l’école à la maison », dont l’État a tous les moyens légaux d’assurer le contrôle, était moins un lieu de radicalisation que d’innovation éducative ultimement stimulante pour tous. Dans le domaine financier par ailleurs, où la rigueur est non seulement légitime mais encore souhaitable, on voudrait faire sortir les cultes du droit commun en leur imposant des restrictions en fait discriminatoires, alimentant par conséquent une sorte de défiance généralisée à l’égard des religions comme telles.

C’est ce climat de défiance qui est sans doute le plus critiquable dans certains aspects de ce projet de loi, comme l’a montré le ton de plusieurs interventions particulièrement outrancières, grotesques si elles n’étaient pas inquiétantes, lors du débat à l’Assemblée nationale. On ne luttera pas à bon escient contre le séparatisme en suscitant, par un soupçon généralisé sur les appartenances religieuses, une sorte de réaction de défiance défensive. Le droit des cultes dans notre pays, né dans la douleur dès avant la Révolution, a progressivement trouvé son équilibre, avec notamment la loi de 1905 et la jurisprudence régulière du Conseil d’État depuis. Les différents cultes, dans leur diversité foncière et historique, y ont progressivement trouvé leurs repères. La priorité est de faire adhérer à ces repères, pas de les faire voler en éclats.

La Haute Assemblée, où commence l’ultime mise au point de ce projet de loi, s’est souvent distinguée par sa sagesse, son sens des équilibres et son souci des libertés. Gageons qu’en ce temps de débat de société relancé et de fête religieuse, elle fera à nouveau honneur à sa réputation et à notre pays.

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